Et voilà qu'ils sont dehors, tout à coup, sous la toison céleste toute de noir vêtue, celle qui les cueille en plein dedans avec son croissant de lune blanc. Le bruit se diffuse, s'en va se disperser dans d'autres ruelles que la leur, se fane progressivement et à mesure que leurs pas les éloignent de là. C'est agréable, quand même, parce que c'est comme enfin s'en aller d'une soirée mondaine où on n'a vu que des visages horribles.
Une lumière éclate, c'est celle de l'éclairage nocturne qui continue de vibrer jusqu'au petit matin. Et ils ont le temps, les gamins, avant de voir leur chemin d'adrénaline s'effacer sous la caresse de l'astre Hélios.
Elle joue la fille de l'air sur le goudron, tend les bras un peu puis se laisse choir vers l'arrière. Funambule des trottoirs, c'est grand Sacha qui la réceptionne dans son envolée, qu'elle soit physique ou mentale. Et maintenant qu'est-ce qu'on fait ? Oui, et maintenant.
- On s'amuse.Qu'il susurre à une oreille qui doit sans doute encore bourdonner sous le crachat des baffles.
Et ses lèvres craquent en un demi-sourire, celui qui s'entiche et ne fait aucune réelle promesse. Rien que le temps d'un soir, et puis on ne se revoit plus jamais. C'est ce qu'ils se disent tous les gamins au moment de se choisir une donzelle sur les dalles multicolores : allez viens on baise sans engagement et on passe du bon temps.
Puisqu'elle a l'air d'en avoir cruellement besoin, quelque part sous les tremblements. Dès qu'il la touche, ça fait piquer sa peau comme on verse de l'eau trop froide. Tiens tiens tiens.
Lentement l'envie de mordre une peau, infuse. C'est presque inhérent, inscrit dans sa génétique. Sacha il a tout le temps besoin des autres, mais pas pour les belles raisons. Il a besoin de corps à avoir tout contre, de sentir la place à côté de lui être chaude dans son lit. C'est terrible parce que quand c'est lui qui s'invite chez les autres, c'est jamais grave si la place est vide. Il peut pas savoir de toutes façons Sacha : c'est lui qui disparaît toujours le premier. Comme dans ces films où la femme finit esseulée dans son linceul, en manque d'un amant.
Du bout de ses doigts qui épousent ceux de sa muse, il l'emporte avec elle jusqu'à son chez lui. Jusqu'à son terre-terre intime. La route n'est pas longue, ça met dix à quinze minutes. On les entend rire, Sacha surtout, qui éclate parce qu'il dit un truc qui n'a aucun sens, ou bien parce que c'est juste trop bien de vivre. Un passant les regarde ; le blond s'en moque, il s'en moque vraiment et laisse sa gorge se percer d'un gloussement sans conséquence. Jamais il oublie de retourner embrasser sa belle, peut-être pour raviver à chaque fois la flamme et s'assurer qu'elle restera. M'enfin elle a pas l'air de vouloir partir, sinon elle l'aurait pas suivi. Même si elle a l'air aussi aveugle que lui, à ne jamais reconnaître qu'une vague silhouette en train de la cajoler.
En acceptant de lui prendre la main, elle signe un contrat muet qui la voue à une scène primitive. C'est ainsi que ça fonctionne, c'est simple. Pas d'engagement, aucun. Même quand on est déchiré à l'alcool, l'encre se voit moins bien mais signe toujours autant. Et parfois, quand t'as pas d'encre, avec quoi tu poses ton sceau ? Tu le fais avec les pigments les plus proches de ta peau. Il paraît qu'on parle d'un certain
rouge.Une clé se tord maladroitement dans le mécanisme simpliste d'une serrure. Au-dessus de la porte c'est évident : on lit bien un nombre à trois chiffres. Je te laisse plisser des yeux pour voir c'est quoi.
Entrée qui claque, chien qui aboie sec mais Sacha gueule un Ta gueule qui fuse et calme le canin tout de suite. Remarque que c'est un Ta gueule gentil : le doberman file quand même entre les paires de jambes qu'il ne connaît pas, non seulement pour saluer et renifler, mais aussi pour grimper sur les tibias, et là Sacha force un peu plus sur la voix. Cependant jamais il vire vraiment le clébard, laissant ce dernier s'accrocher au pantalon de la demoiselle. Pas très longtemps, il retombe sur ses pattes, et fuit pour aller finir sa gamelle de croquettes. Simple les chiens, n'est-ce pas ?
Et c'est fini. Eux seuls, dans l'antre du monstre, porte fermée, se rejoignent et se greffent au premier mur venu. Peut-être qu'ils glissent un peu tout du long pour se rapprocher de la chambre. Au pire ils feront ça dans le canapé noir. C'est grand ici, on peut s'étaler, profiter de la vue d'une baie vitrée assez haute pour apercevoir le chapeau des toitures.
Il l'assiège de baisers. Ses caressent s'accentuent sur les hanches, les mains qui traînent ensuite près des cuisses comme pour se préparer à les soulever. Contre le mur c'est ce qui paraît le plus rapide, le plus évident, mais peut-être qu'elle ne veut pas faire ça de cette façon. Sacha même si c'est une brute parfois, il reste à l'écoute quand il s'agit de certaines choses. Ici : choisir la manière dont elle veut prendre son pied.
- On f'ra ça comme tu veux.Qu'il glisse au creux d'une oreille. Et puis ses doigts remontent sur la croupe, moins ardemment cette fois. Il n'enlève toujours pas de vêtements. C'est drôle, mais il a presque l'air conciliant le blond. Presque prêt à répondre aux requêtes. Peut-être qu'il sait qu'elle a besoin, elle aussi ? Ils avaient raison, quand ils disaient que Sacha se faisait doux agneau dès qu'on accepte de ployer sous lui.