Peek a Boo ! est un forum rpg dont la v4 a ouvert en février 2023. C'est un forum city paranormal où les personnages sont décédés ; après une vie pas très chouette, iels se sont vu offrir une nouvelle chance et évoluent désormais dans le Tokyo extravagant de l'au-delà.
起死回生
La silhouette du roi titube dans la nuit jusqu’à la porte de son appartement. Entre les lueurs des réverbères, grandissant sur les façades, les rares paparazzi encore debout peuvent percevoir son ombre trébucher dans le vide.
Dans les yeux de Joshua le violet est clair, la pupille plus ronde, de plus en plus voilée ; elle cherche désespérément de la lumière, mais non seulement le soleil s’est déjà couché, mais en plus elle sera bientôt caduque : il a à peine le temps de tourner la clé dans la poignée que ça y est, c’est le flou.
D’abord calme, il referme la porte doucement, tâtonne pour rentrer à nouveau sa clé dans la serrure, et tourner. Safe. Soupir. Sourire. Un petit cocottement doux l’accueille et lui indique que Poule a réussi à monter les escaliers en son absence.
Il n’est pas tombé à court de potions de vision depuis l’inauguration de ce camping à Okinawa. Mais, puisqu’il a pu rentrer chez lui à temps cette fois, il ne s’inquiète pas. D’un pas guilleret – mais prudent – il descend au rez-de-chaussée, traverse son salon et fait glisser la porte de son bureau. Malgré le flou dans lequel il se trouve, le roi prend bien soin de refermer derrière lui, gratifiant Poule d’un « non » ferme et d’un geste du doigt lui interdisant de le suivre : cette pièce lui est interdite, car c’est là que se trouve le vivarium de Sasa, la chenille fétiche de Joshua.
HORREUR. La réserve est vide. Enfin, d’après le vide qu’il perçoit vaguement dans le placard, ses flacons ne sont pas là. Il tâte tout de même le fond du meuble, pour être sûr. Oui. Enfin, plutôt, « non », pas de potions. Soupir.
Avec une petite moue dépitée, il saisit le petit insecte muet et repasse dans le salon attenant. Ses yeux commencent à pleurer, c’est le signe que ce sera bientôt terminé. La lumière décline encore alors que le roi se laisse tomber dans le canapé et observe distraitement la chenille grimper en ondulant patte par patte le long de sa paume.
Et le noir n’en est pas vraiment un. Son nerf optique ne fonctionne plus, ne perçoit plus les couleurs, et le noir est une couleur, n’en déplaise à Léonard de Vinci. Quand le Lémure était vivant, il ne se rendait pas vraiment compte de ce qu’il loupait, mais là, ce faux noir lui paraît fade, épais, sans aucune place pour l’imagination. Décevant, déprimant, tout comme le passé auquel il le renvoie immanquablement. Et soudain, le voilà qui déblatère et évoque sa vie, sa mère, des détails sans intérêt qui l’ont marqué et blessé. Tout ça en direction de la chenille, qui, comme tous les insectes, est dépourvue de tympans et s’en fiche royalement. Le roi, lui, a toujours aimé lui parler en revanche, qu’elle l’entende ou non n’a pas vraiment t’importance.
Toutefois, l’absence de réponse semble le déconcerter. Maintenant qu’il y pense, il la sentait au bout de son doigt il y a trente secondes, et maintenant plus.
Toujours sans réponse, il se lève, fait un petit tour sur lui-même, s’arrête. C’est soudain la panique. Ne bouge pas, Joshua, un mauvais geste et tu pourrais la réduire en purée.
Autant qu’il se rassoie avant de faire un dégât qu’il regretterait. Oui. C’est plus sage. Il repose son royal postérieur sur le canapé.
Et.
Sprlouish.
Pas de réponse, juste une volée de plumes derrière le canapé.
A tâtons, il entre enfin en contact avec le corps déformé de l’insecte. RESPIRE-T-ELLE ENCORE ?! Les pensées de Joshua sont aussi hystériques que lui, et battent contre ses tempes ; il ne connaît ni l’état de la bête, ni les premiers soins à apporter. Que faire, que faire. Voyant depuis des décennies, il a tout bonnement oublié comment vivre aveugle, et se retrouve complètement fébrile. Un seul nom lui vient à l’esprit, celui qu’il a lui-même prononcé quelques minutes auparavant. De sa main libre, il palpe sa poche à la recherche de son téléphone portable. Droite, un deux trois en bas, ça devrait être le nom de la nécromancienne ; ok.
Difficile, en revanche, d’envoyer ses habituels SMS sans la vue. Après quelques essais, qui consistent tous en quelques inintelligibles « odizqoghysoizf », « ofuqzoig zu », ou encore « fguusq gduqyqjd », auxquels il ne sait même pas si elle a répondu quoi que ce soit, il se décide à appuyer sur le bouton vert pour l’appeler, plutôt. Mais pas de réponse.
Il réessaie encore trois fois et laisse trois messages : « PUTAIN MAIS CATH ! » en japonais, « j’ai besoin de toi toud’souite ! » en français, et enfin juste quelques sanglots assez ridicules. Après quoi, il se résout enfin à lâcher l’appareil inutile.
Ce n’est qu’à vingt-deux heures passées que le roi, tremblant et pleurnichant dans son canapé, avec dans la main une petite boîte dans laquelle git le corps tout aplati de Sasa, entend sonner à sa porte. Relevant la tête à travers les larmes, l’espoir renaît : qui ça peut être, hormis la Nécromancienne qui a enfin eu ses messages, et qui sait exactement comment sauver son insecte ?
Les escaliers montés quatre à quatre (en ne se viandant que deux fois, dont la première lui ouvre l’arcade et la seconde lui causera un beau bleu sur les fesses demain), il se précipite à la porte, la déverrouille en tremblant, et l’ouvre à la volée.
Il cligne de ses yeux rougis par les larmes, comme si ça allait l’aider à distinguer son interlocutrice sans qu’elle ait encore ouvert la bouche, et lui tend la boîte où, autant qu’il ait pu l’entendre à travers les pleurs, Sasa n’a pas encore rendu son dernier soupir.
Reniflant bruyamment, il reçoit la confirmation de l’identité de l’arrivante, et souffle doucement pour se calmer. Ça va mieux, oui, maintenant qu’elle est là et qu’elle va tout arranger. Un petit hoquet lui échappe alors qu’il secoue la tête pour indiquer qu’il n’irait JAMAIS AU GRAND JAMAIS chez un autre nécromancien – enfin, sauf si c’est pour une lubie qui ne peut pas attendre, et qu’il la cherche depuis plus de dix minutes, évidemment – et il tente d’expliquer : « Non, ce n’est pas pour moi, c’est pour ma superbe chenille Sasa, c’est ma fille, ma bataille, il faut pas qu’elle s’en aille s’il te plaît. » Enfin, dans l’idée, quoi.
Les sons qui sortent de sa bouche ne sont évidemment pas si compréhensibles, et il ne parvient qu’à bredouiller :
Les joues s’empourprent avec les larmes qui remontent aux yeux vitreux du roi. Non, non, il doit garder la face, malgré sa gorge serrée et la douleur dans son kokoro. Son poing vient barrer sa bouche pour l’empêcher de déverser un râle pitoyable, et il s’écarte enfin de l’embrasure de la porte pour laisser passer la nécromancienne ; qui, d’ailleurs, doit bien se cailler les miches avec la robe qu’elle porte, puisque celle-ci laisse justement voir les miches en question. Heureusement que le roi est aveugle et préoccupé, sinon elle aurait sûrement eu le droit à quelques remarques.
Prudent cette fois, il laisse Catherine prendre la boîte contenant l’insecte blessé et passer devant dans l’escalier descendant au salon, et se contente de lui emboîter le pas en comptant les marches. Mais combien y a-t-il de marche dans cet escalier, au juste, vingt-trois ? Vingt-cinq ? Il ne s’en souvient jamais. Ouch. Vingt-quatre.
La pièce est plongée dans la pénombre, et le bois sombre des meubles dessine de curieux motifs sur les murs grâce à la lumière de la ville qui filtre par la fenêtre. Ne le remarquant pas, le roi n’actionne pas l’interrupteur, et s’occupe plutôt d’intimer le silence au volatile qui les a attendus au rez-de-chaussée et les suit désormais en ponctuant ses pas de caquètements discrets. Non pas que Poule se sente concernée par le sort de la chenille, mais on ne lui a pas encore donné ses graines, ce soir.
En bon père inquiet, voilà Joshua qui s’agite autour de Catherine en attendant qu’elle conduise son examen et donne son diagnostic. Sans pour autant faire les cent pas, il se déplace tant bien que mal entre les meubles en tentant de percevoir des indices à l’aise de ses sens encore valides. Une odeur de potion, un trémolo dans la voix de la jeune femme, une impression, et il tire même la langue pour tester si le fond de l’air est bon ou non. Il sent Catherine concentrée, inquiète, triste… inconscient de fausser les indices en englobant la pièce de ses propres sentiments.
Il ne veut entendre qu’une chose : « c’est rien jojo, un coup de potion et ça repart. » Et, tel un enfant pris la main dans le sac, il ne craint qu’une chose : qu’elle demande comment c’est arrivé.
Lentement, la lumière s’insinue dans ses prunelles, laissant Joshua flotter dans un flou fuyant. Comme commandé, il a assis ses fesses coupables dans le canapé où le drame est arrivé, et observe la forme de la Nécromancienne qui s’affaire. Sa race n’a jamais aussi bien porté son nom…
Les larmes coulent, par réflexe visuel cette fois, tandis que Catherine évoque la possibilité de faire appel à un vétérinaire, mais le roi, imprudent, n’en a pas.
« Je jetterai un œil dans l’annuaire quand tu l’auras retapée, mais je t’ai appelée d’abord, comme d’habitude. »
Joshua fait confiance à Catherine - peut-être trop confiance pour le bien de la Nécromancienne. Celle-ci le rassure : Sasa ne tombe pas en poussière pour le moment. L’homme souffle un coup, un peu rassuré, tandis qu’elle s’affaire à ses potions. Celle de vision, quant à elle, continue son ouvrage sur la rétine malade de Josh en un balai d’arabesques colorées. Les potions de vision de Catherine, loin de l’effet qu’elles avaient à l’état de prototype, font aujourd’hui leur travail en quelques minutes. Juste assez de temps pour que la femme administre ses remèdes à la petite chenille.
C’est en vision HD 1080p que Joshua constate l’effet de la première potion, qui semble efficace : sa petite protégée semble un peu regonflée, mais les dégâts du royal postérieur ne sont pas réglés. Demeurent encore les pattes courbées à l’inverse et les cornes qui, habituellement fièrement dressées, comme à l’écoute attentive de son environnement, sont devenues toutes flasques. Les cornes sont la partie préférée de Joshua.
Catherine n’en a pas terminé, déjà sa seringue distille une goutte de potion d’apparence sur la tête de Sasa, qui la boit goulument. Joshua en observe anxieusement l’effet par-dessus l’épaule de Catherine, indifférent à l’envahissement de son espace personnel qu’il est en train de commettre.
Et soudain, le drame.
Le petit corps dodu convulse, se tortille dans la boîte, et prend une teinte marron. Deux autres cornes lui poussent le long du dos et - comble de l’horreur - elle se met à produire un liquide à bulles verdâtre. Adieu, petite chenille vert pomme à l’allure adorable… et bonjour monstruosité baveuse.
« Je… Elle est Zombie, là. » parvient-il à balbutier.
Le roi n’a jamais assisté à une transformation en Zombie auparavant. Tremblotant, il se rasseoit, puis se relève, fait les cent pas. Il prend la boîte en main pour observer à nouveau le résultat de la potion fatidique, et devant le silence de Catherine, répète plus fort :
« Elle est Zombie, là. Elle est Zombie ! Puis, encore plus fort : Elle est Zombie ou elle est pas Zombie ?! »
Complètement hystérique, il repose la boîte pour mieux se prendre la tête dans les mains. Il vient de causer la zombification de son amie la plus proche… et ne pense pas encore à blâmer la deuxième.
Catherine a l’air tout aussi estomaquée, mais peu importe pour Joshua sinon la détresse manifeste de l’animal. Sasa se tortille - un signe de non-écrasage néanmoins - toujours dans sa boîte, en proie au tourment de la zombification.
Le brun, lui, est surtout en proie à sa culpabilité. Comment a-t-il pu laisser faire une chose pareille ? Sasa est sa gloire, sa fille, sa confidente. Et comment la remercie-t-il ? En s’asseyant dessus ! En la zombifiant ! Mais est-il vraiment responsable de la seconde partie ? Qui blâmer, alors ? Le destin… ? Joshua n’y croit pas.
Le roi peut se montrer terriblement colérique et capricieux lorsque les choses ne se passent pas comme il l’a prévu, et c’est cette part de son caractère qui s’exprime lorsque la nécromancienne s’excuse timidement.
« Josh... Tu le sais n'est ce pas ? Je suis désolée...
-- Désolée ? Tu es désolée ? » répète-t-il, grondant.
Tel un enfant qui rejette la faute, il n’a plus envie de s’incriminer, mais plutôt de maudire Catherine et sa main lourde en potion. Quand ça l’arrange, Josh se délecte de l’utilisation de ces dernières, mais quand on parle de Zombies, il trouve qu’elles relèvent de l’inconscience… Ce problème de morts putréfiés malgré eux le tient parfois éveillé la nuit, et voilà qu’il le touche personnellement, dans sa propre maison, et apporté par sa propre Nécromancienne.
Celle-ci s’occupe de la nouvelle Zombie du mieux qu’elle peut. Elle dirige les gouttes de main de maître près de la chenille marron et baveuse. Joshua ne bouge pas, toujours la tête dans les mains, ahuri. Si c’était pour voir ça, il aurait mieux valu rester aveugle.
Après un temps, il sent le canapé s’affaisser sous le poids de sa camarade. Prudemment, elle s’est assise près de lui. Joshua se surprend à ne pas vouloir la regarder. C’est tout de même de sa faute ! Sa potion ! Il ne veut pas la voir. Elle promet un remède, mais à cet instant précis, il n’y croit pas.
La femme le prend dans ses bras pour le consoler, mais Joshua ne réagit pas. Il reste immobile, sans rendre l’étreinte, et ses sourcils se froncent, la colère monte ; il finit par la repousser, crachant :
« Qu’est-ce que t’as fait, Catherine ?! » Il ne l’appelle pourtant jamais par son prénom complet, trop difficile à prononcer pour lui. Il dit Cath, Cathy, Cath-chan. Jamais Catherine. « Regarde-la ! Et tu voudrais que je lui donne juste des potions tous les jours pour tout arranger ? Comme tous ces pauvres Zombies, puants et pourris sous leurs illusions ? Tu crois que j’ai envie de ça pour elle ?! »
Sasa ne peut décemment pas rester comme ça, pourtant, Catherine a raison. Mais Joshua ne peut pas l’admettre. Il a besoin de s’énerver, de préférence contre quelqu’un qui n’est pas lui, et Catherine est la seule à être présente.
Brusquement, il se lève du canapé et lui lance durement l’ultimatum :
« Dézombifie-la, ou sors de chez moi ! »
Mais dézombifier, on ne peut pas. Et il le sait bien. Tout ce qu'il souhaite, c'est qu'on lui dise le contraire. Ou pouvoir remonter le temps.
Elle pourrait bien l’encorner, s’il continue. Ou pire, utiliser son cri. Joshua se serait presque machinalement bouché les oreilles - ses tympans se mettent à vibrer en souvenir de la douleur d’un Cri - mais il se retient pour ne pas l’énerver davantage.
Penaud. C’est ainsi qu’il se sent face aux paroles assassines, mais vraies, de Catherine. Lui qui se croit souvent supérieur vient de se voir coller le nez dans ses fautes, et c’est dur à admettre. Il ne l’admet pas encore.
« T-Tu…! »
C’est tout ce qu’il peut répondre, la frustration lui coupant la parole. Il croise les bras, gonflé de colère, vexé comme un pou.
Le Roi n’a pas l’habitude qu’on lui tienne tête, habituellement entouré de conseillers soit mielleux, soit obéissants, qui n’osent jamais dire non. Non, Joshua, tu as tort, non, c’est de ta faute.
La Nécromancienne, elle, connaît ses faiblesses. Elle l’a connu lorsqu’il n’était encore personne, à peine capable de tenir les baguettes chinoises du bureau quand il fallait aider Suko à mimer une mort. Aujourd’hui, il pleure souvent pour des broutilles, mais elle a connu sa vraie détresse, ses vraies larmes. En un siècle, Joshua s’est habitué aux caprices, mais pas Cath. Cath n’a pas le temps pour ces bêtises, trop occupée à tenir le souverain fonctionnel, à écouter ses déboires, ses problèmes quotidiens souvent causés par lui-même, sans jamais s’énerver. Pourtant, il y a souvent de quoi.
Il repense à ses mots en boucle, y cherchant une réponse cinglante - mais il n’y a rien à rétorquer, rien qui ne le fasse passer encore plus pour un âne. Les mots tournent dans son esprit, faisant leur travail pour le calmer.
Elle n’a pas quitté l’appartement, n’ayant vraisemblablement que faire de l’alternative idiote qu’il a offert. Et, encore une fois, c’est tant mieux. Il ne veut pas vraiment qu’elle parte. Que ferait-il, sans son soutien ? Sa seule présence est rassurante, et elle tient le lit de la blessée avec une confiance impressionnante pour quelqu’un qui n’a aucune connaissances entomologiques.
De bouillant, Joshua passe aux flammes, des flammes aux petites braises.
Timidement, il lâche un « on dirait qu’elle va un peu mieux » de réconciliation. Lâche, il fait comme si aucun d’eux n’avait haussé le ton. Il n’est pas encore prêt à s’excuser, mais il tient à éclaircir un point :
« C’était un accident, hein. Je voulais pas lui faire de mal. »
Une moue infantile accompagne l’aveu. Il vient de concéder qu’il y est pour quelque chose, et c’est un premier pas.
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