You saw nothing - ft. Céleste Raine

Sa tentation de caractère se solde par un échec. Céleste la remet à sa place, celle de l'enfant perdue qu'on ramène sur le droit chemin. Qu'il soit long ou non, Terri n'a pas son mot à dire. Échec à contre-cœur. Elle soupire.

« Non ça va je vous suis. »

On reverra pour l'affirmation de soi face à la dame intimidante. Qu'on lui laisse encore une chance de faire ses dents : ça ne fait que peut de temps qu'elle est atterrie à Tokyo et qu'elle assume son état de morte. Un jour, un jour, elle le lui fera payer, elle se le jure. Comment ? Ça viendra bien.

Bras croisés, elle continue donc de suivre Céleste. Roule fort des yeux au ciel quand elle lui dit qu'elle peut répondre à ses questions. Non merci, Terri n'a pas l'intention de tomber dans le piège et se sentir idiote. Encore. Son égo est déjà bien assez fragilisé comme ça. L'autre o s e soumettre l'idée qu'elle ne lui fait pas confiance. D'où prend-elle cette drôle d'idée ?

Toute la frustration s'accumule, et pour une fois qu'on lui pose une question honnête, Terri voit le prétexte pour déverser tout ce qu'elle a accumulé.

« Je peux pas dire que j'ai la joie d'être dans un appartement. L'endroit est pourri du sol au plafond, et je dis pas ça métaphoriquement : y'a de la moisissure partout, et parfois y'a de l'eau qui me tombe sur le front quand j'essaie de dormir, j'dois toujours tenir mes couvertures au-dessus de ma tête mais il fait tellement humide c'est inconfortable. Qui a cru qu'on pouvait vivre – pardon – exister dans des conditions pareilles ?! »

Elle botte un malheureux caillou qui se trouvait sur son chemin.

« Ça devait pas être plus facile après la mort ?!? »

Elle est rouge de colère.

Tout est relatif, c'est la leçon que tente visiblement de lui inculquer Céleste. Terri reçoit de mauvaise foi ces brides d'informations. Parait-il qu'il y a pire, comme Chatelet. Ou un appartement sans électricité. Bras croisés, elle accuse à contre-cœur. Peut-être exagère-t-elle. Peut-être qu'elle devrait prendre sur elle et arrêter de se plaindre. On lui a accordé une seconde chance – c'est un peu ça non, ce Tokyo des morts – mais visiblement elle n'est qu'une enfant ingrate.

Et faut croire qu'elle a aussi gagné à la loterie de la mort parce qu'elle n'est pas une vampire. À la mention de ces monstres, Terri relève la tête, interloquée.

« Comment ça ? »

Ça prend un moment pour qu'elle traite adéquatement l'information. Et quand ses synapses complètent l'assimilation, Terri s'arrête brusquement. Les pieds fermement posés au sol pour se prouver que ce n'est pas un rêve, que c'est bien la réalité et que

« … Les vampires EXISTENT ?!? »

L'expression de son visage traduit le choc et la colère. Choc parce que ce n'est absolument pas quelque chose qu'elle s'attendait à apprendre en se baladant aujourd'hui. Colère parce que POURQUOI ON NE LUI A JAMAIS DIT AVANT ?!

Elle regarde Céleste, attendant qu'elle lui dise que ce n'est qu'une blague, qu'elle l'a bien fait marcher jusque-là et qu'elle est tellement naïve – ce serait pas la première fois qu'on lui fait le coup.

Pour la énième fois en cette journée, Terri passe par tout un spectre d'émotions en quelques secondes. Du choc et la colère à la suite de la révélation, elle sent son sang se glacer (métaphoriquement) quand Céleste fait mine de vouloir la mordre. Et finalement non. Pas de danger. Seulement une révélation choc. Ça remet en perspective tous les films de Twilight qu'elle a dévoré quelques mois avant sa mort. Mais elle ne pense pas à Edward Cullen, son esprit est trop occupé à assimiler l'information encore toute fraiche. Et choquante, est-ce assez clair ?

Terri s'arrête dans ses pas. Elle a besoin d'une pause pour digérer tout ça. Elle s'accroupit, assise sur ses talons, et mains encadrant son visage qui ne sait plus quelle expression afficher. Il lui semble qu'elle sue, que sa peau est toute fripée et qu'elle a pris quelques rides en apprenant ces…  choses. Est-ce que ses cheveux sont en train de devenir blanc ? Elle ne serait pas étonnée de trouver son premier cheveu clair en regardant dans le miroir.

« Je pense que j'en sais déjà trop. »

Ou c'est seulement sa tendance à dramatiser n'importe quel événement qui lui cause un dérangement mineur. Mais elle se lance quand même, parce que les valves ont été ouvertes.

« Ça n'a pas de sens. Ça n'a aucun sens. On peut pas être mort et vivant et on peut pas quitter le monde des morts une fois qu'on est mort et… Mais t'es quoi en fait ?!? »

Excusez sa maladresse. Elle est à bout.

Laissez-la. Laissez-la en petit bonhomme au milieu de la rue et en choc. Plus rien ne peut l'atteindre. Métaphoriquement et physiquement, faut-il croire. Une coquille vide, voilà ce qu'elle est. Une coquille qui se referme un peu plus sur elle-même alors que ses bras enserrent ses jambes et qu'elle se balance, imperceptiblement. Il n'y a rien derrière ses yeux vidés d'être passés par toutes les gammes des émotions possibles. Laissez-la. Peut-être a-t-elle atteint son nirvana :  une goutte d'eau entre d'autres gouttes d'eau, emportée par le courant violent de l'after-life tokyoïte.

Mais Céleste la tire hors de l'abysse. Par le bras. Brutalement. La douleur rappelle à Terri que sa mort n'est pas annihilation, qu'elle est encore ici, présente, et dépassée, tellement dépassée. Et humiliée.

« Mais OUCH-EH »

Elle tente de se libérer de la prise de la vampire, mais après tout ça, Terri est dénuée de force – ou de réelle volonté. Son bras repose, mou, entre les griffes de Céleste tandis que Terri renifle, à demi-consciente de ce qui se passe autour d'elle. Elle capte seulement que l'adulte-de-la-situation lui propose de bouger, de ne pas rester dans la rue. Elle n'a pas de raison de protester – elle ne saurait pas non plus comment rentrer à partir d'ici. Alors elle répond tout ce qu'elle peut :

« Ok. »

Deux syllabes épuisées et défaitistes, mais au moins ses jambes sont encore fonctionnelles et réceptives à l'ordre plutôt qu'à la proposition.