Panic but no disco - [Tantine & Olympe]

Je sais pas s'il se rend compte que ça me crève le cœur, de devoir admettre qu'on peut souffrir d'un surplus de travail. J'imagine que pour la plupart des gens, c'est une évidence banale, mais pour moi, c'est douloureux. Je dois voir en face que je suis pas la bosseuse infatiguable que je rêve d'être, que j'ai des limites simplement indépassables par nature. Vous savez ce que ça fait, que de se rendre compte que tout ce qu'on est, tout ce qu'on sera à jamais, c'est juste pas assez?

Il met le dernier clou au cercueil de mes fantaisies, le deuil est nécessaire pour mon bien, j'imagine.

"J'ai pas tellement le choix de de le reconnaître, de toute façon."

L'aveu est lâché, il me l'aura arraché. Sans le vouloir je crois, mais c'était la suite logique de la conversation, on allait inévitablement en arriver là. Parce que c'est le noeud du problème depuis le départ. Je lui fait pas part de ma résignation forcée, j'ai pas la force de le confier. La plaie est trop vive, saigne encore. Il me pose une question, je change volontiers de sujet.

"Non, pas vraiment." Elle ment, la vilaine. J'inspire un instant, me reprend. "Enfin, si, mais je me dis que si je change de boulot comme ça, persone fera ce que je fais. Et bon, l'entretien des bâtiments c'est pas quelque chose qu'on peut négliger longtemps."

Même moi je crois à moitié à ma propre excuse, l'agence trouvera forcément une paire de bras pour remplir mes fonctions à ma place. C'est probablement pas les volontaires qui manquent, surtout si on leur explique calmement la crucialité de la tâche. J'aurais pu camper sur mes mensonges longtemps, par confort, mais ma bonne nature reprend toujours le dessus.

"Et puis j'ai un peu peur du changement de routine, ça... Surtout maintenant, je me dis qu'il faudrait d'abord me remettre en forme avant de changer de vie, quoi."

Et si, idée folle mais restez avec moi, et si justement changer de routine ça aidait à régler mes soucis? Je soupire rien qu'en y songeant, je sais déjà quoi faire et ce que je vais entendre, je me déteste de forcer Constantine à me répéter ce que je sais. Si en plus je savais qu'il est exactement dans le même bateau que moi, la culpabilité me ferait me cacher sous le tapis.

« J'ai pas tellement le choix de de le reconnaître, de toute façon.

Pas forcément, tu pourrais rester dans le déni. Par exemple. Ça reste un choix … Est-ce que c’est un bon choix après, j’te laisse en juger. »

Un léger haussement d’épaules alors que tu retiens un rire. En soit, des choix elle en a plein : continuer de foncer en gardant des œillères. L’accepter mais ne rien changer. Paniquer. Baisser les bras. Parfois c’est pas tant des choix qu’une situation qui s’impose à tes patient·e·s ; personne ne choisi volontairement de paniquer une fois qu’iels ouvrent les yeux sur quelque chose qui semble être une évidence pour d’autre. T’es surpris sans vraiment l’être de la voir accepter la situation, la reconnaître et même la verbaliser. Surpris parce que tu t’attendais pas à ce qu’elle l’admette d’elle-même comme ça et en même temps … Tu l’as guidé. Alors ça devrait pas vraiment t’étonner. Mais ça te fait un peu plaisir aussi.

« Non, pas vraiment. »

Sourcil qui se lève.
T’es pas convaincu.

« Enfin, si, mais je me dis que si je change de boulot comme ça, personne fera ce que je fais. Et bon, l'entretien des bâtiments c'est pas quelque chose qu'on peut négliger longtemps.

C’est une crainte légitime. Mais si tu le prends dans un sens différent, mettons que tu finisses par être trop fatiguée. Ou à bout. Tu finiras par plus réussir à faire ce que tu fais actuellement, par exemple. Mais bon c’est important que tu penses à toi pour toi-même et pas uniquement pour le travail. Ou autre chose. »

Maintenant qu’elle l’a reconnu, tu sens que tu peux te permettre d’être un peu plus direct. Tu y mets toujours les formes, une certaine douceur et surtout ta bienveillance habituelle mais plus fait plus de détours. Peut-être que faire une pause dans son travail lui ferait du bien, peut-être changer d’air aussi. Tu y réfléchis, les mains toujours croisées alors que tes yeux observent toujours Olympe.

« Et puis j'ai un peu peur du changement de routine, ça... Surtout maintenant, je me dis qu'il faudrait d'abord me remettre en forme avant de changer de vie, quoi.

Ça se comprend. »

Tu hoches la tête comme pour appuyer ses mots, avant de te racler la gorge et reprendre.

« Changer sa routine c’est un processus qui peut prendre du temps. Qui demande pas mal d’énergie aussi. Mais peut-être que dans ton cas et vu ta situation … Ça peut aussi servir comme un point de départ. Peut-être faire moins d’heure. Changer un peu de genre de boulot, quelque chose comme ça, tu y as déjà pensé ? »