[FB 2021] Welcome to the Family Jewels ft. Lucy

« Ça fera 60Ø.

Voilà. »

Tu déposes la monnaie dans la main du vendeur, glissant ton paquet de clope fraîchement acheté dans ta poche. Geste de la tête, geste de la main et te voilà dehors. Il fait frais mais bon, le temps idéal pour sortir faire tes courses et ce genre de choses chiantes de la vie de tous les jours. Y’a plus fun c’est clair, mais pas le choix si tu veux manger. Tu traînes, tu regardes les boutiques du coin et t’atterris devant les journaux du jour. La presse tu la lis pas tous les quatre matins : avec internet c’est plus trop un réflexe que t’as. Mais de temps en temps, pourquoi pas, surtout qu’au pire ça peut toujours servir de distraction à tes patient·e·s. Ou juste à les stocker dans un coin jusqu’au jour où ça peut servir, peut-être, sait-on jamais. Ouai, tu fais parti de ce genre de vieux qui collectionnent et amassent des trucs « au cas où ». Une vraie malédiction.

Les mains qui parcourent les journaux, tu finis par t’arrêter sur un journal plus mode. Quand on te voit dans ton imper’ un poil trop grand, ta barbe mal rasée et tes cheveux en bataille ça peut surprendre. Mais des fois t’aimes bien -et t’es ouvert d’esprit. Et un poil envieux, des fois. Pas forcément des mannequins t’es réaliste mais des fois t’aimerais faire des efforts. Pour toi. Par pur plaisir de te trouver un peu mignon de temps en temps. Tu souris en coin à cette idée et tu vas pour reposer le magazine quand un visage t’interpelle sans trop savoir pourquoi. Peut-être parce que le visage te paraît vaguement familier au premier coup d’œil, alors tu rouvres sur la page en question. La surprise te fait perdre ta clope qui tombe sur ta manche, te poussant à agiter le bras pour éviter qu’elle la crame. Tu grognes un Eh merde dans ta barbe alors que tu la ramasses d’une main, l’autre trop occupée à tenir le magazine.

Tu pensais pas revoir son visage un jour.
Et surtout, pas comme ça.

Ému. C’est ça que tu ressens. Triste, un peu. Mais excité, aussi. Trop de contradictions en quelques secondes que t’en oublies le commerçant qui te demande pour la troisième fois si tu vas l’acheter ou pas ce fichu magazine. D’un air distrait, voir même déboussolé, te voilà à lui glisser la monnaie et repartir avec le journal sous le bras. Depuis combien de temps elle est là, à Tokyo ? Est-ce que c’est récent, vieux ? Tu t’en veux de ressentir une forme de joie à savoir que tu pourras, peut-être, enfin la revoir. Car si elle est là depuis longtemps ça veut dire que t’as perdu déjà tellement d’années. Pourquoi t’as pas essayé mieux hein ? Mais au moins tu as des noms, un visage, des infos. De quoi la chercher et cette fois-ci, tu vas t’y accrocher : après tout t’es borné.


T’es nerveux. Une boule de nerf. Tu tiens difficilement en place. Et en plus avec ta grande taille, tu dénotes complètement.
Les mains dans les poches, te voilà dans une longue file d’attente. Qu’est-ce que tu fais là exactement ? T’espères la voir, simplement. Après l’échec cuisant de la dernière fois tu ne peux que croiser les doigts que ça se passe un peu mieux. En même temps, qu’elle idée d’essayer de te pointer à un photoshoot, sans invitation, d’une actrice en pleine promo autour d’une série télé ? Évidemment que t’as été recalé sans même un regard ; t’as pas pu poser un pied à l’intérieur que la porte t’avait déjà claqué au nez. Et tes explications bancales teintés d’hésitation n’ont pas aidé c’est clair. Mais cette fois-ci tu t’es bien renseigné, tu as même fait un effort pour pas ressembler trop à n’importe quoi -au cas où. Tu sais pas trop comment on doit agir et s’habiller, dans ce genre d’évènement.

À trop réfléchir tu te rends compte que c’est à ton tour. Et tu pourrais la reconnaître entre mille, malgré les années et les décennies.
L’émotion te la coupe un instant, les mots s’étouffent dans ta gorge et tu es maladroit. Mais tu feras de ton mieux, comme toujours.

« Salut, Luciole. »