Elle voyait bien qu'il ne la croyait pas, qu'il ne pensait pas qu'elle ne comprenait pas, mais elle ne comprenait réellement pas. Elle n'arrivait pas à savoir ce qui bloquait tellement entre eux, pourquoi il refusait à ce point qu'elle pouvait avoir des sentiments pour lui. C'était si surprenant ? Elle n'arrivait pas à comprendre s'il était surpris qu'elle puisse l'aimer, s'il était si loin de l'aimer elle pour que ça le surprenne autant ou si c'était qu'elle ne comprenait pas autre chose. Ils avaient vécu plein de choses, elle le savait, mais rien n'était rédhibitoire à ses yeux. Alors non, elle ne comprenait pas, les yeux plantés si fort dans les siens, y cherchant des réponses qu'il semblait ne pas vouloir lui donner. Elle le regardait, les larmes plein les yeux trop clairs, elle le regardait et n'arrivait pas à comprendre, à comprendre pourquoi il la rejetait tant. Pourtant, elle voyait bien qu'il était énervé, il était toujours énervé en sa présence, elle devait bien l'exaspérer, mais elle lui avait demandé de s'expliquer, elle lui avait tendu cette perche, qu'il lui dise enfin, qu'il exprime ce qu'il ressentait, pourquoi il ne pouvait pas l'aimer, pourquoi elle n'en avait pas le droit, ce qu'elle ne comprenait pas, ce qui était si impossible. Tout son être grondait, elle voulait savoir, elle voulait enfin comprendre, mettre des mots sur son attitude. Et en même temps tout son être, ses cellules, chaque fibre d'elle s'éveillait sous son contact, chaque parcelle de sa peau voulait aller à son contact.
Il s'approchait, il faisait des pas dans sa direction, il se posait face à elle alors qu'elle ne l'avait toujours pas lâché des yeux, tremblant imperceptiblement d'appréhension, elle voulait juste le regarder encore, le garder pour elle, elle voulait qu'il lui dise qu'il avait menti, qu'il ne pensait pas ce qu'il avait dit. Elle voulait ressentir ce contact encore, le sentir sur sa peau, elle voulait comprendre aussi. Son sac était tombé par terre sans qu'elle y fasse attention, elle ne faisait attention qu'à lui si proche d'elle, en un sens bien plus proche qu'il ne l'avait jamais été. Elle le sentait, ce rapprochement, cette proximité qui déliait tout et qui pourtant avait été si difficile à atteindre. Elle avait peur à ce moment, peur de ce qu'il pouvait lui dire à nouveau, elle sentait sa colère et son irritation. Mais il n'avait pas parlé, elle avait juste senti ses mains sur son visage, ce contact si longtemps attendu, elle n'avait même pas eu le temps d'appréhender les choses qu'elle sentait déjà les lèvres de Toulouze sur les siennes, la prenant de court alors que tout son corps réagissait déjà, agrippant sa nuque pour le garder, pour ne pas qu'il s'enfuie encore. Elle retrouvait son odeur, son toucher, elle se remémorait tout d'un coup alors qu'il s'éloignait assez pour lui parler, lui expliquer, qu'ils ne pouvaient pas continuer comme ça.
Elle aurait pu lui dire oui à tout, lui dire non à tout, juste pour prolonger ce moment, les mains à la naissance des cheveux sur sa nuque. Elle savait au fond d'elle qu'il avait raison, dans un sourire contrit elle murmurait déjà un « je sais » mais elle savait aussi que le point de non retour avait été franchi, qu'elle ne le laisserait déjà plus faire tout ce qu'il voulait, qu'elle ne le laisserait déjà plus fuir ce qu'il venait de faire, ça avait été trop douloureux la première fois. Elle se connaissait assez pour savoir qu'elle savait très bien dire ce qu'elle voulait, ce qu'elle acceptait, même si elle se doutait qu'elle continuerait à lui laisser bien plus passer qu'à n'importe qui d'autre. Elle ne pleurait plus, les yeux toujours rougis. Mais elle savait également une chose, elle ne s'était rarement sentie à sa place, là, dans cet ascenseur, révélation faites, le visage entre les mains de Toulouze, les yeux dans les siens, ses mains presque dans ses cheveux.
« J'ai compris. J'ai enfin compris. Mais même si on ne peut pas continuer comme ça, même si c'est comme ça, s'il faut tout changer, malgré tout ça je ne m'en irait pas Toulouze. »
Une main crispée sur sa veste semblant lui dire qu'elle ne le laisserait pas s'en aller non plus, c'était trop tard pour ça, il ne voulait plus qu'elle lui laisse tout passer ? Elle ne le laisserait pas partir, pas comme ça. Sauf que l'ascenseur en avait décidé autrement et dans un ultime spasme les lumières s'éteignirent encore tandis que l'engin de malheur fusait dans les étages en remontée pour se stabiliser violemment sans leur laisser le temps de comprendre quoi que ce soit, ouvrant pleinement les portes dans un tintement comme si rien de tout ça ne s'était passé alors que derrière les portes qui s'ouvraient un vrai bazar avait lieu. Des cris, de la musique aussi forte qu'en boîte de nuit vrillait ses oreilles. Les gens les regardaient à présent, applaudissaient elle ne savait pas trop quoi, mais elle se doutait de quoi ils avaient l'air et vu l'alcool qui coulait de mains en mains et l'état d'ébriété avancé des fantômes, certains à moitié debout, d'autres dansants, d'autres presque dévêtus Teodora n'eût qu'une seule réaction, malgré le fait qu'ils soient coincés dans cet engin depuis de longues minutes : appuyer frénétiquement sur le bouton de fermeture des portes avec insistance, les yeux ronds. Elle voulait rire, elle se sentait un peu ridicule, et surtout, surtout elle ne voulait pas une intrusions d'étrangers dans ce qui ressemblait le plus à une discussion sérieuse qu'ils n'aient jamais eu. Elle voulait entendre ce qu'il avait encore à lui dire, ce qu'il avait besoin d'exprimer alors qu'elle ne le lâchait pas, les doigts toujours fixés aux boutons de l'ascenseur, le visage légèrement rougi par les larmes et par la gêne.