Girl is deguise

Franchement, je ne sais même pas comment ils ont réussi à me pousser dans la rue, déguisé comme ça. Le pire, c’est qu’avec les traits fins que j’ai, je passe clairement pour ce que je ne suis pas : une fille. Je suis peut-être androgyne – certainement et totalement d’ailleurs, et je me qualifie moi-même ainsi – je ne suis malgré tout de sexe féminin. Et me voilà pourtant moulé dans une robe noire, des faux seins collés à la peau et un soutien-gorge qui me scie la peau. Encore heureux qu’ils m’aient laissé porté un boxer d’homme, mes attributs ne s’en remettraient jamais, sinon.

Pour me voir exécuter ce défi, que j’avais lancé pourtant à quelqu’un d’autre, ils ont même payé la maquilleuse et la coiffeuse. Me voilà donc en drag queen, si tel est le terme. En vérité, je suis simplement travesti, et je dois traverser le parc comme ça. A mon avis, je dois plutôt être belle gosse, parce que je passe inaperçue. Certes, ma démarche avec les talons frôle le ridicule et je vais sans doute me casser une cheville avant la fin de la journée, mais personne ne me regarde de travers. Il faut dire qu’on trouve de tout, dans cette ville. D’ailleurs, expliquez-moi un jour ce que je fais à Tokyo alors que je ne parle pas un traite mot de japonais ? On aurait pu m’envoyer à New-York, je suis sûr que c’est aussi fun qu’ici.

Je m’arrête cinq minutes sur un banc pour me reposer. J’ai les jambes en compote. Je m’observe alors grâce au reflet dans mon téléphone, et ouvre SnapDead. Au moins, je peux me voir plus facilement, en direct. Visuellement, je n’ai plus du tout la tête de l’homme viril que je suis. On a beau dire ce qu’on veut, je suis androgyne mais je suis viril. J’aime les hommes, les vrais, les tendres, les durs, les coriaces. Je suis comme eux, de toute façon, et on ne peut pas dire le contraire une fois qu’on m’a mis dans son lit.

Bref, dans tous les cas, je passe clairement bien dans ce que je vois. J’ai les yeux maquillés, des faux-cils qui m’alourdissent les paupières, des pommettes creusées et un horrible gloss sur les lèvres. On m’a collé une perruque sur la tête, blonde platine. Plus discret, je crois que ça n’existe pas ! Et pour couronner le tout, les gars m’ont mit un foulard autour du cou, attaché au dessus de mes oreilles, et un chapeau sur la tête. Non mais franchement. « C’est pour cacher ta barbe » qu’ils m’ont répété toute la journée en se marrant. J’ai vraiment intérêt à ne pas perdre le prochain pari.

Je me lève comme si j’avais enfilé une paire de basket et, bien évidemment, je me tords la cheville. Obligé de me rassoir et d’attendre que la douleur passe. Je les imagine bien se marrer comme des abrutis, cachés quelque part non loin de là. Lorsque la douleur passe enfin, je me remets debout avec précaution. Il faut que je traverse ce parc, qu’on en finisse !

Les yeux baissés, je me mets en route. Je n’ai pas fait quatre pas que je vois deux pieds se planter près de moi, et une voix cristalline qui tinte dans mes oreilles. Je ne peux pas relever la tête, j’ai plutôt honte. En attendant, elle m’a pris pour une femme, signe que le déguisement est bien réussi. Au moins, peut-être que personne ne saura jamais qui je suis réellement.

Le problème, pour répondre à cette demoiselle aux cheveux couleur je ne sais quoi, c’est ma voix. J’ai une voix grave, rauque, appelez-la comme vous voulez. Elle n’a rien de féminin ou d’aigu, et ça risque d’être compliqué. Il va falloir que je joue aussi là-dessus, et je tente donc une voix très aigue, caricaturale au possible.

J’aurais pu lui sortir un autre mensonge, un peu plus effrayant. Elle n’a pas l’air du genre à lâcher l’affaire, et je suis certain de me la coltiner jusqu’à la fin de cette farce odieuse. En attendant, elle est serviable, c’est une qualité que je peux lui reconnaître.

Elle n’a pas l’air de lâcher l’affaire, ce qui commence à me contrarier. Intérieurement bien sûr, il ne faudrait pas qu’elle puisse s’apercevoir de la supercherie. Mieux vaut rester le plus discret possible, mais avec un poids comme cette fille, c’est compliqué. Et le pire, c’est qu’elle insiste. Elle me sourie, continue à proposer son aide. Mais de l’aide pour quoi ? Je n’ai jamais parlé de problème alors pourquoi est-ce que j’aurais besoin d’aide ? Je veux juste qu’on me laisse tranquille, que je puisse me dépêcher de traverser le par cet rentrer chez moi pour enlever cet accoutrement ridicule.

Autant, porter une tenue de femme dans une soirée dédiée à cela, avec des drag queen un peu partout, ça peut passer. Mais là, tout seul, entouré de plein de gens, ce n’est juste pas possible. Vivement que ce défi se termine, et j’ai intérêt à gagner la veste de John pour la peine.

Alors que j’allais me remettre en route sans même lui parler, elle se changea en une sorte d’ombre … enfin c’est impossible à décrire. Je sais juste qu’elle est là et qu’elle gravite autour de moi comme une sangsue. Bon sang elle ne peut pas me lâcher ?

« Je n’ai pas besoin d’aide, merci » je lâche alors un peu contrarié.

Ma voix naturelle reprend un peu le dessus, plus grave d’ailleurs. Mais je ne veux pas qu’on sache que je suis un homme. Je ne veux pas qu’on puisse me reconnaître. Alors je garde mine de rien une influence aigue sur ma voix, même si c’est un rendu assez affreux. En même temps, je n’ai pas pour habitude de m’entrainer à ce genre de trucs idiots devant le miroir.

Avec difficulté, je reprends la marche. Je veux rentrer chez moi, c’est tout ce qui m’importe. Et cette fille, avec ses cheveux verts, m’empêche de pouvoir le faire aussi vite que je le souhaiterais.

« Qu’est-ce que tu veux ? » je demande finalement assez soudainement.

Je me suis arrêté dans min élan, j’ai du faire un mètre, voire deux. Mais elle continue de me suivre, et je n’aime pas ça. Je veux être seul, ce n’est pourtant pas si difficile à comprendre, selon moi. Alors peut-être qu’elle cherche quelque chose. Que c’est elle qui a besoin d’aide ? En général, je ne suis pas quelqu’un qui cherche à faire le bien autour de lui. Je me fiche pas mal d’aider les autres, sauf quand l’éclair de bonté m’a touché en pleine nuit. C’est rare, mais ça arrive. Dans ces moments là, je peux aider un petit vieux à traverser la rue, une femme enceinte à monter ses courses, mes cousins sur leurs devoirs de langue… Il faut dire que je ne me casse pas trop la tête, je fais ce qui est à ma portée. Je ne vais pas chercher à faire une bonne action, elle se présente à moi.

Toutefois, il y a aussi des jours où je m’en fiche royalement. Comme aujourd’hui, en fait. J’ai juste besoin d’en finir avec ce pari ridicule, et je peux déjà entendre les rires de mes amis résonner autour de moi. Je suis sûr qu’ils sont quelque part en train de me filmer.

« Je n’ai vraiment pas besoin d’aide, j’t’assure » j’ajoute encore une fois avant de reprendre ma traversée du parc.

Voilà que l’oiseau s’énerve. Elle m’a démasqué et peut-être qu’elle va me lâcher la grappe. Je sens totalement dans son regard et son intonation qu’elle ne m’aime pas. Elle n’aime pas les hommes. Et cela ne peut que me faire rire. Je ne suis pas macho, loin de là. Je ne me pense pas supérieur aux femmes. Mais elle ne le sait pas, elle ne me connaît pas. Et pourtant, elle croit me faire peur avec de telles menaces. Loin de moi l’idée d’être effrayé. Je m’en fiche, en vérité. J’ai d’autres culs à fouetter, un défi à terminer et un partenaire qui m’attend.

«  Cours donc jeune ombre. Avant que je puisse avoir peur il en faudra beaucoup. Pense tout ce que tu veux sur la gente masculine, sur moi puisque je suis censé la représenter à l’instant même. Tu es bien loin de la vérité. Et tu m’excuseras si je ne prends pas le temps d’essayer de comprendre d’où vient ta haine. Pour qu’elle soit si prononcée, c’est bien que tu es tombée sur les mauvaises personnes. Et je ne suis pas le bon samaritain qui va essayer de changer ta perspective. »

Je ne force plus sur ma voix. Je n’ai pas de temps à perdre là-dessus. J’ai mal aux pieds et je sens que ma vessie commence doucement à me dire qu’il faudrait que je pense à m’arrêter contre un arbre.

Comme par provocation alors que ce n’est pas l’idée de base, je lui fais un petit signe de la main et je reprends ma marche. Il ne reste qu’environ huit arbres à parcourir avant d’arriver à la fin de l’allée, et de terminer ce foutu défi. Je savais que c’était une mauvaise idée, mais il fallait tout de même que je le fasse. Le lot gagnant n’est pas fou, mais c’est déjà ça de pris. Il faut sérieusement que je me mette à bosser. L’argent ne tombe pas du ciel, ni ici, ni chez les vivants. Et je dois aussi me dépêcher d’y aller pour aller me nourrir. Mes canines forcent le passage dès que j’y pense.