J’étais avachi dans mon immense fauteuil, les pieds posés sur mon bureau. Je me sentais glisser et m’enfoncer un peu plus dans le cuire du siège, espérant pouvoir m’y perdre pour ne plus avoir à m’occuper de toute cette paperasse qui m’épuisait. Je tenais entre les doigts la liste des nouveaux employés, examinant les informations qui y étaient inscrites... quel patron exemplaire je fais. J’avais bien envie de retourner dans ma chambre et dormir mais je devais retenir ces informations. Cela faisait quelques années maintenant que j’avais pris l’habitude de récolter des informations sur mes employés, en me concentrant sur leurs faiblesses. Après tout, ça pouvait servir en cas de trahison… Bon, jusqu’à maintenant je n’avais pas eu besoin de m’en servir, ce qui prouvait que j’étais un bon patron, n’est-ce pas ?
Mon regard se posa sur le dernier de la liste, Ushio Kaiyoutei. Son nom ne me disait pas grand-chose mais ce n’était qu’une histoire de minutes avant que je ne connaisse les moindre détails de sa vie. Si j’en croyais ma liste, il vivait avec sa sœur jumelle, Ebiko et tout les deux dirigeaient une petite boutique de fleur qui, à en croire la photo, semblait vraiment accueillante. Comment un garçon qui n’avait plus que sa sœur et une vie pas si chiante que ça, avait fini par prendre autant de risque en travaillant pour moi ?  Enfin, là n’était pas la question parce que j’avais une visite à rendre...

… J’avais beau comparer la photo et ce qui se trouvait devant moi, il y avait quand même une grosse différence. Où étaient donc passées toutes ces fleurs qui décoraient la devanture ? Une rafale de vent me fit grelotter et le fait que nous étions en hiver me revint doucement en mémoire. Cela expliquait sûrement pourquoi presque toutes les fleurs étaient à l’intérieur. Je poussais donc la porte d’entrée, ce qui fit teinter une petite clochette. Je fus accueilli par une bouffée de chaleur qui me fit un bien fou et le merveilleux parfum que dégageaient les fleurs. Je pris le temps de me balader entre les rayons, observant les différentes plantes et essayant de retenir leur nom. Elles étaient toutes tellement jolies que je commençais à me demander si je n’allais pas finir par acheter quelque chose. De toute façon, il fallait bien que je trouve quelque chose pour pouvoir engager la conversation avec la jolie demoiselle aux cheveux roses se trouvant au comptoir. Je m’approchais donc, un sourire aux lèvres.

- Bonjour, je voudrais acheter quelque chose d’assez original !

Bon, je ne m’y connaissais absolument pas en fleurs et elle avait sûrement du le comprendre dès que j’avais ouvert la bouche. Tant pis, il était trop tard pour faire demi-tour maintenant.

Son sursaut me fit sourire, presque glousser mais je ne voulais pas la mettre mal à l'aise, un petit sourire suffisait. Un sourire qui disparu quand elle me demanda si je comptais l'offrir. A qui ? Mon frère ? Comme si une plante allait suffire à tout arranger... Je chassai cette pensée de ma tête et mes lèvre s'étirèrent de nouveau, comme si de rien n'était. Je posai mon bras sur le comptoir pour m'y appuyer.

- Heu… non. C’est pour moi. Un cadeau à moi-même, dis-je en lui rendant son clin d’œil.

Puis vint le moment où je dû faire un choix. Comme si je m'y connaissais en fleurs... mais la plante mal aimée me parlait. Il faut dire que j’avais des points communs avec elle... et puis un prénom me venait déjà en tête. Génial Rafaël, tu t’éloignes encore du plan !  Tel le génie que j'étais, je ne pris même pas la peine de changer de sujet et lui répondis, un sourire amusé au coin des lèvres :

- La petite plante mal aimée m'intéresse.

En attendant qu'elle revienne avec ladite plante, je pris le temps de me concentrer sur ce qui se trouvait autour de moi, sur l'ambiance qui régnait. La boutique était calme, j'étais le seul client et la demoiselle aux cheveux roses, la seule fleuriste. Je savais bien qu'elle travaillait avec son frère qui était trop paresseux - ou trop occupé à bosser pour moi - pour venir l'aider. Mais, quand je l'entendis revenir, je lui demandai, tout innocent :

- Vous êtes seule pour tenir la boutique ?

Un employé à mi-temps ? J'allais devoir faire quelques recherches sur lui, car c'était une information qui n'apparaissait pas dans le dossier, ce qui était une erreur de ma part. Je ne pouvais même pas rejeter la faute sur quelqu'un puisque j'étais le seul à avoir accès aux dossiers et à les remplir.

Alors qu'elle arrivait près de moi, mes yeux se posèrent sur le cactus pas si petit que ça qu'elle tenait entre ses mains. Je compris immédiatement pourquoi personne ne voulait l'acheter. Comme tout bon cactus il poussait et semblait en bonne santé, mais le haut de la plante ressemblait plus à une tige abîmée, contrairement au bas qui était beaucoup plus gros. Autrement dit, il ne poussait pas de manière équilibrée et il était de travers.

Elle le posa sur le comptoir avant de m'en faire une petite présentation. Il s'appelait donc Kaito... moi qui avais déjà un autre prénom en tête. Un sourire s'afficha sur mon visage alors que je prenai le pot entre mes mains pour l'observer de plus près.

- Je vous avoue que c'est la première fois que j'achète une plante. Vous avez des conseils pour que ce cactus puisse avoir une belle vie ?

Je reposai le pot, prêt à écouter ses conseils. Puis une idée me vint à l'esprit, une idée qui pourrait me permettre de la surveiller, elle et son frère (et pourquoi pas cet employé à mi-temps).

- Et puis, si vous voulez, je peux vous tenir au courant de comment il se porte, si ça peut vous rassurer.

J'avais sûrement l'air de gentillement me moquer d'elle mais j'espérais sincèrement qu'elle allait accepter. Après tout, elle semblait tenir à cette petite chose, elle ne pouvait que dire oui.

J'essayais tant bien que mal de ne pas pouffer devant cette jeune femme un peu trop absorbée dans ses conseils et recommandations pour se demander si j'arrivais à la suivre. Ce n'était pas pour être méchant, disons juste que cette passion pour les plantes m'amusait et que étrangement, pendant un court instant, je me retrouvai à moi aussi à m'y intéresser.

Le prix qu'elle m'annonça, m'amusa nettement moins, surtout pour une plante à moitié crevée et des livres que je n'avais pas demandés... mais bon, c'était pour les affaires. Ce fut presque à contre-cœur que je sortis de ma poche un porte-feuille en cuire noir et l'ouvris afin d'y sortir les Øssements demandés. Comme tout vendeur qui se respectait, elle essaya de me refiler une autre plante, je lui lançai un regard voulant dire " tu ne m'auras pas, j'ai déjà payé 26 Øssements pour ton cactus et tes bouquins " et répondis, une pointe d'amusement dans la voix :

- Je n'ai malheureusement pas de balcon mais si jamais un jour j'en fait construire un, je penserai à vous.

Je lui tendis l'argent, attrapai le fraîchement renommé (uniquement dans ma tête) Eugène-Kaito, ainsi que la pile de livre et sortis de la petite boutique en faisant tinter la petite cloche, non sans l'avoir remercié et lui avoir souhaité de passer une bonne journée avant. Ce n'est que quelques mètres plus loin que je me rendis compte que j'avais complètement fini par oublier la première raison de ma venue ici. Je n'étais pas complètement repartis sans rien mais ça aurait été mieux d'en savoir un peu plus. Mais bon, ce cactus allait être mon pass dans le petit monde de cette demoiselle aux cheveux roses, rien n'était encore perdu.

Une fois de retour dans mon bureau, je posai Eugène-Kaito au bord d'une fenêtre avant de le prendre en photo. Je sortis le bout de papier sur lequel Ebiko avait écrit son numéro de portable et lui envoyai la photo, suivit d'un simple " je pense qu'il se sent bien ici ;) ".