Peut-être que les grands malades attirent les autres grands malades. C’est la pensée qui te traverse quand l’autre te fait lâcher prise sur ta dague. Tu lâche un grognement douloureux, crache ta bile avant de t’essuyer la bouche d’un geste rageur.
Qu’est-ce qu’il te veut, au juste, pour vouloir autant se défouler sur toi.
Parce que t’as même pas le temps de respirer que c’est un coup de bécher qui t’arrive en pleine face. Le verre explose, tu peux sentir les débris s’enfoncer dans ta chair. Voilà qui ne va pas arranger sa sale tronche de cadavre. Si tu peux sentir le sang couler des plaies, ta vision est intacte. C’est toujours ça de pris, mais cette fois, tu ne retiens pas un cri, qui mêle rage et douleur.
Et l’autre prend son pied, riant comme s’il se prenait pour une espèce de cavalier de l’apocalypse digne d’un film de série B. Grincement de dents amer.
Les yeux plissés, tu remarques que l’autre n’utilise que son bras gauche, conséquence, certainement, de ton coup - ou du moins tu l’espères.
Mais la boite de conserve croisée avec une armoire à glace est loin d’avoir dit son dernier mot. L’adrénaline t’empêchant de sentir la douleur qui amoindrit tes réflexes, tu tentes une esquive trop tard lorsque sa poigne vient enserrer ton coup, au même moment qu’une musique tout droit sortie des profondeurs de l’abysse - à savoir : l’autre partie de la boutique - retentit dans tout le bâtiment.
C’est une valse bien douloureuse qu’il te force à suivre. Malgré toute la bonne volonté du monde, à main nue et à moitié démoli face à un mec de la stature de ce croisé, tu ne peux rien faire si ce n’est résister autant que tu peux.
Au fond de tes entrailles, quelque chose s’anime. Une flamme trop longtemps éteinte, oubliée avec le confort de la mort.
Flamme qui hurle : survis !
Survivre. Survivre. Survivre.
C’était ça qui te maintenait en vie et perdre ce sentiment a fait de ta mort une longue phase d’ennui.
Inextricable émotion à laquelle tu te droguais auparavant.
Qui t’arrache un sourire ensanglanté.
Parce que toi aussi tu peux jubiler, à ta manière, même passé à tabac par un fou furieux en train de chanter en allemand. Une langue que t’as d’ailleurs jamais pu piffer. Les Germains sont un peuple de barbares brutaux et prétentieux. Comme les francs. T’façon, c’est tous des Franj à tes yeux, malgré les années, les siècles qui ont pu passer et les quelques mesures de tolérances que ton sultan a bien voulu imposer aux endroits que vous avez conquis.
Finalement, l’autre s’éloigne, te laissant crachotant et gisant dans les débris de verre.
Puis vient le coup fatal. Parce qu’il y en a toujours un.
Fourré, en général. Bien profond.
Il ne te faut pas un dessin pour comprendre à quoi va servir le bidon qui roule sur le sol de l’arrière-boutique.
Tes prunelles s’embrasent. Ta crainte est palpable.
Peur face à la menace.
Réelle, elle te prend aux tripes, tord tes viscères.
Pas ça. Pas le feu. Pas la boutique.
Le croisé est-il au courant de ta plus grande faiblesse ou espère-t-il te faire cramer dans un bûcher moderne ?
Et tes foutus membres qui ne répondent pas. BOUGE. Tu hurles mais aucun son ne franchit la limite de tes lèvres. Pas question de brûler une seconde fois.
Si t’avais pas eu l’idée géniale de foutre des balles colorées dans ta baignoire, t’aurais peut-être pu te faire couler un bain et attendre que le pire ne soit passé, en priant pour que les poutres et les meubles de l’étage ne te tombent pas sur la gueule.
L’étage.
L’essence lui sur le sol, coule jusqu’à tes doigts. Le contact du liquide froid sur la pulpe de ta main te fait l’effet d’un électrochoc.
Survivre.
Bien plus chancelant que le chevalier - faut dire qu’il t’a quand même mis cher -, tu récupères ton cimeterre, tombé non loin de l'endroit de ton énième chute, et son fourreau, qui te sert d’appui.
Survivre.
Tu sais que le temps t’es compté, qu’une fois que les pas lourd du chevalier ne résonneront plus dans ton esprit, s’en sera fini de toi, que tu pourras brûler à nouveau comme jadis. Et il n’en est pas question. Le temps s’étire, se distend comme s’il était infini, et pourtant ton corps ne t’as jamais paru aussi lent, aussi lourd.
Tout s’enchaine.
C’est à l’étage que tu comprends que ce mec n’a pas seulement prévu de te faire flamber comme saint Laurent sur son barbecue, mais qu’il va au-delà. C’est lorsque tu entends l’alarme d’un réveil que tu mesures l’ampleur de sa folie.
Complètement barge.
Mais tu ne peux pas t’empêcher de sourire.
Loin de la déflagration, tu peux t’estimer heureux d’avoir eu le réflexe de grimper les marches de l’escalier. A l’extrémité de la boutique, tu ressens juste la secousse de l’explosion. La tête enfoncée entre tes genoux, tu peux entendre - mais choisis de ne pas voir - la zone située au-dessus de la boutique s’effondrer.
Les battements de ton cœur s’accélèrent, jusqu’à atteindre un rythme anormal. Tu peux entendre les flammes lécher les parois de la boutique, se rapprocher de toi petit à petit, en une progression vicieuse.
Des potions explosent, libérant leurs effets - paillettes, fumée colorée, et j’en passe - en dessous, menaçant d’empirer la situation.
Mais tu ne veux pas mourir une seconde fois.
Alors tu te relèves, les jambes tremblantes et ta poigne mal assurée sur la garde de ton arme, que tu te bénis d’avoir saisi avant qu’elle ne finisse fondue sous les débris de ce qu’il restera de ta boutique à l’aube.
Relevant la tête, tu constates que l’explosion a effectivement dévasté la partie avant de ta boutique - avec un petit pincement au cœur - et constate que tu peux effectivement sortir sans avoir à passer le brasier du rez-de-chaussée.
Plus facile à dire qu’à faire, mais tu meurs d’envie de te venger du croisé.
Alors tu t’élances, manque de tomber alors qu’une partie du sol se dérobe sous tes pieds, te brûles plusieurs fois en glapissant comme un animal effrayé, et, en prenant appui sur la poutre porteuse massive qui sépare les deux zones, tu sautes vers l’avant.
Vers l’objet de ta vengeance.
Un rictus mauvais s’étire sur ton visage lorsque tu aperçois la posture toute orgueilleuse du croisé. Quelques passants te remarquent, se demandent si un film d’action est en train d’être tourné, mais tu profites de l’effet de surprise pour fondre sur le croisé.
Nouveau ralenti.
D’abord, son bras levé, à la manière d’une insulte.
Tu fends l’air avec ton fourreau avant de l’abattre de toute tes forces sur le membre cuirassé, peut-être pas assez pour le blesser sérieusement, mais avec l’énergie du vol plané, ça devrait faire son petit effet.
T’as cru que j’étais fini, hein ?
Tu lui atterris littéralement dessus pour lui faire fléchir les genoux, enfonçant le tien de toute tes forces dans ses reins avant d’enchainer très vite pour abattre de tes mains - l’une sur l’épaule, l’autre sur l’arrière du casque - sur la tête du croisé et pousser celui-ci vers l’avant. Heureux que tes siècles passés à défouler ta colère en sport - tous les sports - te soient enfin utiles.
Et tu l’entraines fermement vers le bas.
Chute inexorable.
Vers le béton.
Mange toi ça.