La pièce fume. Littéralement. De la vapeur s’échappe de ta préparation, signe que le tout sera bientôt près. Des mois que tu perfectionne cette potion, pour un résultat toujours plus efficace. T’y passes tes nuits, tes jours. Un temps fou.
Tu griffonnes des notes sur un vieux carnet en te mordant la langue - vilain toc -, tout en te disant qu’il va falloir que tu convoques Ambroise pour un nouveau test. Ambroise que tu n’as d’ailleurs pas vu depuis un moment, à croire qu’il va vraiment finir par démissionner. Ça ne t’étonnerait qu’à moitié, mais tu t’attendais à recevoir une lettre de démission et des excuses en bonne et due forme, le connaissant.
Laissant la décoction chauffer encore un moment, tu te diriges vers un coin du laboratoire où trône fièrement un çaydanlik aussi vieux que toi - ou presque. Thé servi, tu t’effondres sur un siège en surveillant du regard ta potion en train de bouillir. Le dosage doit être précis. La cuisson délicate. La moindre erreur fatale.
L’air absent, tu grattes les lambeaux de peau qui rougissent ta gorge. Profitant de cette pause, Bis vient te sauter dessus, s’installer comme il le peut sur toi, comme s’il ne pesait pas 11 kilos et ne mesurait pas presque un mètre de long. Tu grognes un peu, mais ne le pousse pas. Il vient lover son museau contre ton cou. Tu ne bouges plus.
T’as plein de défaut, mais la présence de Bis les atténue. Faut dire que vous êtes inséparables. Et puis t’es plus proche du chacal que de l’homme, on va pas se mentir.
Alors quand t’entends du bordel à l’avant de la boutique, t’es certain que ce n’est qu’un retour de bâton. La justice n’existe pas dans ce monde. Il n’y a que la vengeance. Amère et sanglante. C’est l’une des seules qualités de ce monde. A moins d’avoir commis un acte gravissime, pas de taule, pas d’amende, juste des poings et des larmes.
Bis se relève d’un coup, avant même que les premiers fracas se soient fait entendre. Ses jappements et le raclement de ses griffes contre la porte te mettent la puce à l’oreille. Le bruit s’intensifiant, tu comprends que quelqu’un est équipé pour ravager ta boutique, pestant, tu te mets à chercher ton arme.
T’es pas vraiment du genre à te faire vandaliser sans répliquer.
Silence dans la boutique. Odeur puissante de l’essence. Grondement inquiet de Bis.
Merde.
Tu grognes. Si l’on a déjà tenté de s’en prendre à toi, ta boutique n’avait presque jamais subi d’attaque. Mais au cas où, tu gardes à portée de main ton plus précieux souvenir. Un cimeterre, dans un fourreau richement orné. Une arme que tu n’as jamais cessé de manier.
Craquement de la porte.
Tu retires la lame de son fourreau, garde celui-ci dans la main. Attrape la dague qui crevait d’envie que tu l’utilises, attendant son heure au fond d’un tiroir poussiéreux. Dague et bouclier viennent trouver leur place dans ta main gauche. Contact métallique. Que de souvenirs.
Sourire mauvais.
Comme au bon vieux temps.
Un cri annonce l’arrivée imminente du vandale, mais celui-ci reste coincé dans la porte. Le chacal déguerpit face à l’inquiétant craquement des gonds de la porte. Quand tu discernes un casque métallique, tu ne caches pas ta surprise.
Froncement des sourcils. L’inquisition ? Au nom d’un souvenir sanglant du passé, cet espèce de fou furieux fanatique déboule dans ta boutique est casse tout ? Ils se prennent pour qui, ces foutus complexés de la vie ? Tu fulmines.
Délicieuse colère qui irradie ton esprit et tes muscles.
Ça ne te prend pas longtemps pour que tu te mettes à vociférer à ton tour, les traits déformés par la colère. Tu te rues sur la porte, où point la tête de ton ennemi, et lui assènes un coup de bouclier. Le genre de coup qui résonne en un bruit sourd.
Bruit de la violence.
Doux hymne pour tes oreilles.
A sa folie, tu réponds par ta propre aliénation.
— Inquisition TA MÈRE
Non, t’aimes pas les gars comme lui. Pourtant t’es pas bien différent, du genre à taper sur ce qui ne te plait pas ou sur ceux qui menacent les personnes que tu estimes.
Mais ta boutique.
Bordel.
Un siècle que t’as réussi à la tenir en l’état.
C’est pas un croisé qui va venir te faire chier.