Ah, les mauvaises réputations, j'en sais quelques choses, bien que je ne sache pas pour lui, pour ma part, c'était de ma faute. Mais c'était un détail qu'il ne devait pas savoir. Après tout, j'avais eu ce que je voulais comme information. Il s'était suicidé, c'est tout ce que je voulais savoir. je sentis sur mon visage un sourire s'étendre, et se figer, cependant, je ne ressentais pas la satisfaction habituelle. Au contraire, même, je baissai la tête, et mes mots sortirent de ma bouche plus vite que mon esprit ne le voulu.
Quel gâchis...Je fus surprise moi même de ce que je dis, la main devant mes lèvres, le regard fixe. Quelque chose n'allait pas, et je sentais bien que j'en avais trop dit, sans même réfléchir réellement à ces mots. Je ne voulais pas m'excuser pour autant, mais c'était plus fort que moi. Je sentais mon pied être plus lourd. Je n'avais pas mal, je ne ressentais rien. Ni douleur, ni peine, ni amour, ni sentiments. Alors pourquoi j'avais réagi de la sorte ? Peut-être parce que je le pensai réellement. je pensai sincèrement que c'était du gâchis.
Je ne pensai pas être sauvée, je me sentais toujours prise au piège d'un carcan dans lequel je m'étais moi même cloitré. Je voulais m'en sortir, mais en même temps je n'y gagnai rien. J'avais besoin de créer ce chaos, je devais continuer. J'étais celle qui bougeait les balances de l'équilibre, celle qui actionnait la roue du jugement. oui, je ne pouvais pas m'enfuir de cette tâche, alors pourquoi? J'avais envie de pleurer, mais je n'y arrivai pas. Mon pied plus lourd que jamais, j'essayai de bouger les orteils. Puis j'entendis un bruit sourd, qui me fit me raidir. Du coin de l'œil je vis un enfant. il n'était pas méchant, et devait sans doute être là avec celle ou celui qui devait s'en occuper jusque sa majorité. Il tendit le doigt vers moi, la bouche ouverte.
J'y voyais pourtant les regards, et j'entendis les rires de mes sœurs les premiers jours que je fis en tant que Yûjo, quand je tombai au sol et me sentais tellement ridicule. Je me penchai alors en avant, les yeux mi-clos, les lèvres retroussées, l'air d'un rapace blessé. Il se mit les deux mains devant la bouche, effrayé. Je fermai alors les yeux, un petit sourire sincère. je ne voulais pas ajouter à sa peur ou sa peine. Pourquoi donc ? Avant cela ne m'aurait rien fait, au contraire.
Ah les artistes, oui, ils étaient ma bouée de sauvetage, la beauté, celle que je voulais toucher du doigt, la noblesse, l'art et la musique, mes planches de salut, qui m'extirpaient de ma condition. Je voulais devenir Oiran. je voulais devenir une étoile. je voulais réussir, réaliser mon rêve !
Oh, je profite d'un moment pour vous dire quelques petits conseils supplémentaires. Quand on est comme moi, on arrive à accumuler un certain nombre d'ennemis qui deviennent presque héréditaires et quand on les accumules, parfois on a quelques soucis. Prenez soin de votre corps, Hirano-San, cela vous évitera de perdre un membre ou deux.Un conseil que j'aurais sûrement balayé du bras à l'époque. je restai calme. Mais je ne savais plus trop quoi faire. Je me sentais quelque peu idiote. Je regardai autour de moi, et je ne voulais pas être visible. J'étais une bête blessée, et en danger. Cela me plaisait dans un sens, mais me stressai dans un autre. C'était un cauchemar qui commençait. Je voulais bouger, sortir d'ici, j'avais l'impression d'étouffer.
Ce que je veux dire par là, c'est que vous devriez être prudente… enfin.. prudent… pardon, je ne voulais pas paraître insultante...Fuir! Fuir ! C'est ce qu'il fallait. J'avais fait une bêtise, je ne pouvais pas continuer, rester ici, cela n'allait pas, j'étais idiote ! Je me redressai brutalement, volant partir, mais impossible, je n'avais plus de pied !! Je tombai sur le flanc, envoyant valdinguer tout ce qu'il y avait sur la table. Le bruit des coupelles, de la bouteille, des assiettes, tout explosa dans ma tête, comme une décharge de fusil. Je me vis dans le miroir, mon reflet renvoyé, si pitoyable, je me recroquevillai. Je hais ce garçon, non pas parce que c'est un homme, mais parce que sa pureté me brûle, me tue encore. Je pleurai, comme une enfant, comme à l'époque. Je brûlai de l'intérieur, pliée en deux. je ne ressentai pas la douleur physique, j'étais juste pitoyable. J'étais une enfant. J'étais cette enfant ! Celle qui boudait de ne pas être avec ses sœurs, considérée comme ses sœurs. J'étais une enfant à part, car promue à un destin incroyable. FOUTAISE !!
Je voulais vivre. Je voulais être vivante ! Je voulais devenir Oiran, je voulais être loin de ce monde clos, je voulais voir la lueur du jour, la mer, je voulais vivre !!Une douleur au plus profond de mon âme, comme un miroir brisé, comme un reflet distordu, je voulais être quelqu'un de bien ? Non, je voulais vivre, à tout prix, je voulais être autre chose qu'une prostituée, perdue avec les autres. je voulais revoir cette personne qui m'avait tant dis de gentillesse, qui m'avait dit que j'étais un modèle intéressant, qui voyait en moi de l'art. J'étais une œuvre d'art. Figée dans le temps, au delà des époques. Je ne vivais plus en tant que corps, mais à tout jamais dans l'esquisse de ce dessin.
Je voulais…. juste être moi-même...Le gâchis, c'est sans doute d'avoir tué tant de personnes. Mais j'ai beau le savoir maintenant alors que je suis irradiée par le soleil de cet enfant. Une fois la nuit tombée, je redeviendrai le monstre que j'ai toujours été. Car c'est ma seule façon d'exister. Cependant.. Peut-être un jour? Arriverai-je à une rédemption? ou ce qui s'en rapproche? Où donc va stopper la roue du jugement pour un être si abject que moi? Qui rendra ce jugement, et dans quelles circonstances ? Je suis triste. Je reste triste. Je suis toujours, deux cents cinquantes ans plus tard, cette petite fille boudeuse, loin de ses sœurs qui riaient à gorge déployées alors que le soir même, elles devaient vendre leur corps au plus offrant, afin d'espérer un jour, pouvoir sortir de ce quartier enclavé. Elles me jalousaient, mais ont-elles un jour compris que c'était moi… Oui, c'était moi, la plus jalouse de toutes.
Je tentai de me redresser, essuyant mes larmes avec la manche du kimono. L'enfant qui m'avait pointé du doigt était venu me voir en courant. Je ne savais pas quoi faire, je n'aime pas les enfants. Je soupirai doucement, cherchant dans mon obi une sucette que j'avais coincé pour la manger plus tard dans la soirée, en marchant le long du canal. J'étais un monstre. Je l'ai toujours été. Mais un monstre cherchant l'amour de quelqu'un. Un monstre cherchant la reconnaissance, et surtout, le soutiens de quelqu'un. L'enfant est un être simple. une fois la sucette entre les mains, il partit en courant. Un œil clos, un petit sourire contrit aux lèvres, je le regardais s'éloigner. Je n'avais plus de pied, c'était fini, les potions pour le maintenir, plus rien ne fonctionnerai. Ce sera direction l'infirmerie, et prothèse sans doute. Qu'importe. Cela n'a plus d'importance.
Vous savez, Hirano-San... Je pense que moi aussi… je me serai suicidée, si l'on ne m'avait pas tué avant. A y réfléchir, ma vie était détestable. Et je l'ai rendue cauchemardesque. Nous n'avons pas tous un passé si violent. Fort heureusement. Vous êtes un artiste talentueux. Et sachez que ces dessins font du bien à voir. A y regarder de plus près...ils me rappellent les bons souvenirs, comme les mauvais, mais ils sont la fenêtre que j'avais à l'époque pour voir l'extérieur. Ne vous inquiétez pas. Je ne vais pas en mourir. je n'ai pas l'habitude de paraître si sale et pitoyable. Ceux qui me connaissent y verraient de la comédie. Ou ils en profiteraient pour augmenter ma souffrance. Vous ne semblez pas de ceux-là. Aussi… Faisons un pacte vous et moi. Si vous avez le moindre souci. Si quelqu'un vous fait quoi que ce soit de mal. Contactez moi. Que j'aie un ennemi de plus ou de moins, j'en ai cure. Il faut parfois se salir pour ouvrir les portes du paradis. Mais personnellement… J'ai cessé d'y croire.