Peek a Boo ! est un forum rpg dont la v4 a ouvert en février 2023. C'est un forum city paranormal où les personnages sont décédés ; après une vie pas très chouette, iels se sont vu offrir une nouvelle chance et évoluent désormais dans le Tokyo extravagant de l'au-delà.
起死回生
Il n’avait vraiment pas besoin de ça. Depuis ce matin, le rythme est infernal - le Roi aurait jugé qu’il administre l’Enfer, et pas un simple au-delà inoffensif.
Pas moins de quatre Zombies sont déjà venus se plaindre longuement de leur sort, sans qu’il ne puisse jamais leur proposer de solution ; après quoi il a dû accueillir un car entier de bonnes sœurs et répéter la même mort une bonne trentaine de fois ; enfin, on est présentement en train de lui expliquer un prototype de rangement possible pour les archives, comme si elles allaient réellement être rangées un jour. Joshua écoute d’une oreille, laissant l’autre vagabonder à sa guise, attirée par les cliquetis de crayons et les toux polies.
« Vous n’écoutez pas, monsieur Rokuro.
-- Bien sûr que si, le codage des documents, rétorque-t-il en répétant les derniers mots prononcés pour faire illusion. Je me demande simplement qui va avoir le digne honneur de ranger tout ça.
-- Mais, vous, bien entendu ! »
La veine du cou du Roi des Lémures gonfle progressivement, à mesure qu’on lui fait remarquer que c’est là le rôle de tout bon Roi, et que son prédécesseur, lui, tenait très bien ses archives : non seulement c’est faux, et Joshua est bien placé pour le savoir, mais en plus iels n’ont aucune idée de la dose de travail qu’il a déjà sur les bras, sans avoir à s’occuper d’encore plus de paperasse. Les archives sont un vrai capharnaüm de papiers même pas rangés en piles reconnaissables ; les organiser relèverait du miracle.
« Écoutez-moi bien… », commence-t-il d’un ton qu’il veut calme, mais où transparaît un léger grognement.
Trois coups frappés interrompent alors son explication - ils sont suivis de l’ouverture à la volée de la porte du bureau. Joshua lève les yeux. Dans l’encadrement, il reconnaît le chignon caractéristique d’un certain Nécromancien certainement venu le houspiller. Hisa, en plus de tout le reste ! Mais, malin, le Roi saisit l’occasion, assénant à ses tourmenteurs :
« J’ai un rendez-vous urgent avec un autre collaborateur, mais je reviens vers vous au plus vite sur cette super idée de rangement. »
Poussant les apprentis archivistes vers la sortie, il fait entrer Hisa avec une fausse sollicitude, perdant son sourire dès la porte refermée. Le premier problème était certes évité, mais le voilà avec un nouvel enquiquineur dans son bureau. Dans un souffle certes soulagé, il contourne le meuble en question, où trônent déjà une montagne de papiers et de crayons plus ou moins importants, aussi bien rangés que les archives. Il s'assoit, joignant les mains dans un geste solennel.
Sans même saluer l’arrivant, le Lémure s’enquiert :
« Et qu’est-ce que tu me veux, aujourd’hui ? »
Les commentaires d’Hisa lui font siffler les oreilles ; de manière générale, sa présence lui hérisse le dos, et ses mains qui se posent sur son bordel organisé aussi - car il est organisé, à la base. Hisa a sûrement un bureau mieux rangé, ayant une propension à l’organisation frôlant l’obsessionnel ; contrairement à Joshua qui est beaucoup plus cool.
« Ça va, rouspète-t-il, je suis juste un peu débordé, je te ferais dire. »
Ça ne fait jamais de mal de rappeler qu’il est Roi, après tout, et qu’un Roi a fort à faire. Entre deux visites intempestives pour l’agacer, il a effectivement d’importants rendez-vous, et de nombreux spectres à accueillir. Pas étonnant que son bureau se transforme régulièrement en fouillis de dossiers et de stabilos, avec, oui, il l’admet volontiers, quelques accidents de tampons encreurs à l’occasion. Écouter les remontrances de ses collaborateurs fait aussi partie de ses attributions, malheureusement. Il est donc tenu de recevoir Hisa comme les autres, et les autres sont nombreux, à défaut d’être aussi casse-pieds. Parfois, il aurait bien besoin du pouvoir d’Hisa, mais il ne l’admettra jamais.
« Aujourd'hui, j'ai de nouvelles courses. » annonce finalement le Nécromancien, d’un sourire fier.
Une moquerie à l’appui, il dépose puis reprend sa feuille de courses, faisant la moue. La moue détestable que Joshua voit si souvent, la moue qui signifie “really? tu t’abaisses à ce niveau ?” et oui, Joshua s’abaisse souvent à de nombreux bas niveaux, en dépit de son fort égo. Il n’a pas besoin qu’on lui rappelle qu’il n’est pas un aussi bon Roi que Suko, n’ayant que peu de désir organisationnel, au contraire de son camarade.
« Si tu veux ranger, sens-toi libre de le faire, maugrée Joshua en saisissant sèchement la feuille. Qu’est-ce que tu veux alors, de nouveaux stylos senteur fruitée ? »
Ça se veut moqueur, mais dès lors qu’il prononce ces mots, Joshua se surprend à désirer ardemment les stylos fruités susnommés. D’ailleurs, si on va par là, il aurait aussi bien voulu qu’Hisa range.
Les sourires fusent chez son camarade, Joshua n’aurait jamais dû admettre être débordé. En bon monarque, il déteste laisser l’ascendant à quelqu’un d’autre, et la balance penche dangereusement vers Hisa.
Josh parcourt distraitement la liste de fournitures, emplie d’objets divers dont le conseiller a déjà obtenu moult exemplaires. Mais que fait-il donc de tous ces stylos ? Le Roi soupire, s’apprêtant à rouspéter, mais l’autre lui propose son aide.
Moyennant finance, bien entendu.
« Tch, encore ces histoires d’argent. »
Les questions de budget passent souvent par-dessus la tête du brun, mais ce qu’il comprend c’est que l’Agence dépense déjà trop, et il a beau se persuader que ce n’est pas son problème, le revers de la médaille lui revient toujours, comme par hasard.
« Sans rire, tu as l'air chargé aujourd'hui, reprend Hisa.
- Ah, tu riais, ça me rassure. »
Le ton est plus neutre, presque inquiet. Joshua plisse les yeux, ne parvenant pas à y déceler l’ironie habituelle. A nouveau, le conseiller propose son aide, mais cette fois sans blaguer - et le roi le sonde du regard, cherchant à déterminer où se trouve l’entourloupe.
« Je vois bien que notre cher roi n'est pas de taille. » ajoute-t-il, à nouveau railleur.
Et la voilà, l’entourloupe. Piqué dans son orgueil, Joshua fait la grimace et rétorque aussitôt :
« Bien sûr que je suis de taille, qu’est-ce que tu crois ! Seulement… »
Seulement, pas pour le rangement. Ou la gestion du temps. Ou de l'argent.
« Bref, se coupe-t-il. J’ai cinq minutes là, aide-moi, puisque tu es d’humeur altruiste. Puis, il taquine : Ça te va bien, cet air de bon samaritain. »
Mais soudain, le pire lui traverse l’esprit : et si c’était une ruse ?! Un stratagème élaboré, qui viserait à lui faire croire à une complicité sous les reproches, mais destiné à lui nuire pour finalement causer sa perte et s’emparer du trône ?! L’affaire est peu crédible, Hisa n’ayant jamais eu d’ambitions royales à sa connaissance, mais tout de même trop plausible pour être ignorée.
A nouveau, Joshua scrute le visage de son compère avec la méfiance d’un chien très soupçonneux. Avant qu’Hisa ait pu toucher à un seul papier, le roi lui attrape le bras et assène, avec le plus d’assurance possible :
« J’espère que ce n'est pas une excuse pour fouiner dans des dossiers confidentiels…? »
En vérité, ces dossiers finiront comme les autres aux archives, à la vue de quiconque aurait le courage d’y mettre les pieds ; et Joshua se comporte assez nonchalamment à leur sujet d’habitude, mais la présence d’Hisa et ses reproches lui donnent envie de faire du zèle.
Lui-même ne sait pas bien ce qui se trouve sur ce bureau, il peut bien y avoir sa liste de dépenses effectivement… La pile doit surtout se composer de dossiers liés à de nouveaux arrivants dans le Monde des Morts, dossiers qu’il est censé tamponner et classer à leur arrivée dans son bureau, mais curieusement il ne trouve jamais à temps le papier au bon nom. Parmi cela, il est à peu près sûr que doivent traîner quelques factures pour l’Agence, que ce soit pour l’électricité, le paysagisme ou l’entretien des ruches de la roseraie… Autant de choses qui ne devraient pas lui faire honte…
Mais il peut également y avoir des choses plus personnelles. Il n’est pas sûr. Le regard d’Hisa sur les petits dessins de pin-up qu’il fait parfois dans les marges le terrifie. Et s’il tombe sur pire ? Des extraits de son journal intime ? Son agenda personnel où il griffonne en gros caractères ses rendez-vous avec Madame Brigitte, sa voyante attitrée, pour connaître ce que lui réserve bientôt l’amour ?
« Ce manque de confiance m’énerve ! »
Dès lors, est-ce vraiment un manque de confiance que d’avoir peur d’être jugé par un collègue de longue date ?
Hisa fulmine, il se retire de l’étreinte du roi avec vigueur, sortant Joshua de sa boucle d’inquiétude par la même occasion.
Le brun fronce les sourcils.
« C’est pas une question de confiance, c’est une question de confidentialité ! Tu me reproches mon manque de professionnalisme et ensuite tu t’offusques quand je fais mon boulot ! » rouspète-t-il. Puis, s’échauffant malgré lui devant l’injustice qu’il perçoit dans ses propos, il ajoute : « Je te signale qu’être Roi c’est pas si facile, j’aimerais bien t’y voir, tiens ! Haha ! »
Le rire est enrobé de sarcasme, guttural, moqueur. Il imagine Hisa avec une couronne trop grande pour lui sur la tête - lui qui ne porte pourtant jamais cet attribut grandiloquent, car elle est déjà trop large pour la sienne.
« Tu tiendrais pas une journée. » assène-t-il finalement, croisant les bras sans se rendre compte de la violence de ses mots.
Joshua est lui aussi trop piqué au vif, les deux esprits s’échauffent et se rentrent dedans ; le combat a commencé.
Les mots fusent et percent sa carapace de nonchalance. Le nom siffle encore à ses oreilles, jadis protecteur et rassurant, désormais bassin de culpabilité. Le nom de leur maître commun, tragiquement disparu.
« Je sais même pas pourquoi Sukō t'a choisi, honnêtement. »
Le ton est assassin, le coup porté atteint sa cible en plein cœur. La chaleur monte dans la poitrine de Joshua, mélange d’angoisse et de colère ; si la question lui est déjà apparue, il refuse que quelqu’un d’extérieur la lui serve, d’autant plus si cette personne sait. Et Hisa sait. Il sait ce que c’était que de vivre auprès de Sukō, dans son ombre, ou plutôt dans sa lumière, belle mais parfois aveuglante. Cocasse, quand on sait que c’est grâce à lui que Joshua a retrouvé la vue.
L’ancien roi était le soleil autour duquel gravitaient ses protégés, parmi lesquels Hisa et Joshua. Deux enfants se battant pour l’amour du même père ; une rivalité était née, à la fois moteur et enclume. Pour Joshua, Sukō était un modèle à suivre, mais un modèle exigeant pour lequel il se démenait. Depuis sa disparition, peut-être se démène-t-il un peu moins. Il ne sait pas. Il fait davantage la fête, pour oublier, en tous cas. Okihito était son meilleur ami.
Il ne sait pas bien décrire la relation entre Hisa et le maître, car elle fait partie d’un jardin secret qui n’appartient qu’au Nécromancien. Mais en tous cas, il sait qu’Hisa convoitait fort le lien entre eux. Malgré tout, le roi se souvient avoir été lui-même estomaqué en découvrant sa nomination, il n’ose pas imaginer la réaction de son collègue à l’époque.
Est-ce la jalousie qui l’a poussé à évoquer ce nom ? Joshua bouillonne et vibre comme une casserole oubliée sur le feu.
« Peut-être parce qu’il me préférait, je ne sais pas ? Parce que j’étais meilleur élève, parce que je lui cassais pas les pieds à dire qu’il était pas à la hauteur de sa fonction ? »
Fulminant, il n’a pas tout de suite le goût de trouver quelque chose de tout aussi vexant à rétorquer. Et puis, soudain, l’inspiration monte :
« Au moins, il y a moins de mystère sur pourquoi il ne t’a pas choisi, toi. »
Pas à la hauteur, il l’a déjà dit. Et pour se donner une contenance, il se met à furieusement faire des piles avec les papiers de son bureau, “rangeant” grossièrement pour prouver qu’il peut très bien le faire tout seul. Ainsi occupé, il évite de repenser à ce qu’il vient de dire, et à l’effet désastreux que ça pourrait avoir sur son ami.
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