et dans la nuit, nous sommes rois

Nuage rose. Poétique idée. Comme un rêve perdu sur la langue, doux songes pastels. Réconfort inattendu. Et tes pensées se perdent, comme toujours, dans un lointain pays.
Mais tu essaies de comprendre, aussi. Tu perds un fil, puis l'autre, puis les deux. Tu les retrouves et ils s'en vont à nouveau.

Et tu tentes, sans réellement y croire (après tout, t'es pas très malin) :

— « Wata... kashi (barbe à papa) ? »

Bonne réponse. Mais Rory ne connait pas le mot en japonais, donc la confirmation ne viendra pas de lui. Tu te fais quand même une note mentale pour aller voir la traduction. Spoiler : tu ne le feras pas.
Le pire, c'est que le goût est pas fait pour t'aider, parce que la barbe à papa, c'est que du sucre. Donc, tu vas jamais deviner ce que c'est... heureusement, t'adore ça, le sucre. Tu suis alors, un peu aveuglément, les conseils de Rory.

Impression familière. Tu t'attends à un geste, un souvenir familier. Il ne viendra pas. Comme si quelque chose manquait. Comme si l'image était incomplète.
Koichi, quand tu te souviendras de ce moment, qui verras-tu ? Rory ou Yuuji¹ ? Tu attends la main qui se pose sur ta tête, caressant tes cheveux avec bienveillance.

Yuuji, c'était... Tout. Ton ami, ton ennemi, ton gardien, ton tourmenteur. C'était ton frère. Ta vie. Celui qui l'a protégé si longtemps. Un grand frère qui faisait de son mieux. Tu le savais, tu le sais.
Chaleur dans tes souvenirs. Humeurs dérangées. Une froideur dans ton coeur. Tu ne sais plus où aller. Peut-être que, comme à ton habitude, tu as envie de fuir. Parce que c'est tout ce que tu sais faire. Disparaître. Au fond, ce serait mieux comme ça. Après tout, qui voudrait passer du temps avec toi ?

Ton frère, il s'obligeait à passer du temps avec toi, te tenir compagnie, parce que t'étais l'enfant bizarre. Parce que tu étais une obligation, un devoir. C'est faux, mais tu ne le sais pas. Pour lui, tu étais son meilleur ami. Même si ce n'était pas facile entre vous, il a tout fait pour te protéger. (au final, il t'a perdu, à jamais).
Tu ignores à quel point tu l'as changé, à quel point tu vis encore en lui.

Et sans vraiment vouloir, tout remonte. Tu repenses à ces choses que tu n'aurais jamais dû dire. À ces mots qui auraient dû être partagés. Ces remords et ces regrets.

Et sans vraiment vouloir, tout disparaît. Rory te fait oublier tes pensées, par une proposition qui te paraît étrange. Qui pourrait bien vouloir passer du temps avec toi ? Tu bredouilles un "Euh, ouais ? Bien sûr ?" peu certain, surtout confus.

Enfin, la question fatale. Tu ne la voulais pas. Vraiment pas.

— « Je m'amusais pas vraiment, donc je suis parti ! » suivi d'un petit rire peu convainquant.

Ce n'est pas un mensonge, mais pas la vérité entière. Comment dire à quelqu'un que c'est parce que "je suis un gros looser, j'ai pas d'amis. Que je sois là ou pas, ça change rien, tu sais ? Je suis parti et je sais que ça va changer la vie de personne, un peu comme ma mort."
Mon doux Koichi, si tu savais comme tu as tort.

— « Mon tour de poser des questions ! » dis-tu rapidement, pour changer de sujet. « Pourquoi t'es ici, à Tokyo ? T'en penses quoi de la ville ? Oh, et c'est quoi ta pâtisserie préférée ? »

Tout doux, une question à la fois.

Réconfort dans ton comportement, Rory semble te comprendre – est-ce vraiment le cas ? Mais à tes questions stupides, réponses... logiques. Ses raisons de rester, d'être ici. Si tu avais été propulsé dans n'importe quel pays à ta mort, n'aurais-tu pas fait la même chose ? Oui, tu serais rester là-bas, pour ne jamais revenir ici. D'un certain côté, tu es là uniquement par habitude. Tu as déjà, et tellement, songé à partir loin. Voyager. Fuir.

C'est ta spécialité, hein, Koichi ?

Rory répond à tes questions avec patience. La plupart des gens t'auraient sorti un "on s'en fout" ou un "c'est pas tes oignons, on est pas pote". Mais le lémure, il n'était pas comme ça. Un peu animal en cage, son regard malicieux – le renard en lui, semble te juger avec amusement. Peut-être que c'est juste dans ta tête. Difficile à dire. Mais tu as l'impression de passer un test informel. Probablement celui du fun.

Désolé pour Rory, tu ne penses pas pouvoir le réussir. T'as jamais été doué avec les contrôles, les examens et les tests. Raté professionnel, navré de te l'annoncer. Mais bon, t'étais déjà au courant. C'est un peu pour ça que t'es ici, non ? Parce que t'étais un vivant incapable. Ici, chez les morts, on te juge moins (mais on te juge quand même).

Le rouquin te retourne la question. Oui, tu pourrais aussi passer ta journée à manger des mochis glacés. Tu pourrais te goinfrer de croissants, tartes et pains au lait, pour aller dans les plats occidentaux. Les sucreries, c'est ton dada. Aucun sucre n'échappe à ton regard. Enfin, surtout à ton appétit. Pourtant, la réponse te semble comme une évidence.

— « Je pourrais manger un cake à la fraise tous les jours, à toute heure !! La pâte spongieuse, la crème fraîche et les fraises bien juteuses ! C'est le mélange parfait. »

Et tu le pensais.

Ensuite. Ensuite, eh bien. Une langue. Devant ton visage. D'une couleur... mauve ? Son slushie était pas bleu à la base ?! Petit coup d'oeil sur la boisson. Oui, tu confirmes : c'est bleu. Quelque chose est louche dans cette histoire ! Tu ne savais pas encore quoi, mais c'était pas normal.
Alors, tu prends une grande gorgée du tiens. T'essaye d'avoir la couleur sur la langue et tu la tires.

— « Éh moua ? » prononces-tu avec la langue bien dehors, « Ché quelle couleheure ? », sans te douter que c'est... vert.

Attends. Comment ça, vert ? C'était pas le script. Qui m'a changé mon script !? Oh, et puis zut. Tant pis, tu te transforme martien, c'est pas mon problème. Ça t'apprendra à aller boire n'importe quoi dans une supérette douteuse de minuit dans une ville remplie de problèmes surnaturels.

J'espère pour toi que ce n'est pas permanent. T'imagine passer le reste de ton existence avec une langue verte ? Enfin, heureusement, ces boissons n'ont pas été piégée avec des potions... pas vrai ?