Waking up dreaming w. Yoshi Akabane

@shizuma nakano

Parfois, Yoshi ose prendre le métro. Quand ses jambes fatiguent et qu’elle ne veut pas marcher jusqu’à chez elle, elle fait du mieux qu’elle peut pour ravaler sa timidité et elle va rejoindre la foule en espérant trouver une place assise dans l’un des wagons. Elle n’est jamais très à l’aise, tente du mieux qu’elle peut de croiser le regard de personne, mais quand il y a tant de monde aux alentours, c’est mission impossible. Heureusement, ce jour-là, la bouche de métro était quasiment vide. Personne pour la bousculer ou la déranger. Ça devrait aller.

Elle attend patiemment le prochain métro, perdue dans ses pensées, à réfléchir quel prochain cristal elle pourrait tenter d’utiliser pour placer son énergie ectoplasmique, en espérant cette fois-ci à bien. En réalité, elle n’espère plus vraiment, mais elle persévère toujours. Elle ne veut plus abandonner. En pleine réflexion, elle manque presque de rater le métro qui n’attend plus qu’elle. Quand elle réagit enfin, elle remarque qu’il n’y a plus personne autour, alors elle s’engouffre dans le wagon le plus proche et trouve facilement une place. Il n’y a qu’elle, et un autre homme dont elle évite le regard. Elle s’installe en face, un peu sur le côté malgré tout pour laisser assez d’espace entre eux deux. Elle serre son sac contre elle et attend que le métro reparte.

C’est calme, elle se concentre sur le bruit lointain des roues qui roulent contre les rails en dessous. La tête tournée à l’opposée de l’autre passager, Yoshi pourrait presque fermer les yeux et s’assoupir ici-même, mais il ne vaut mieux pas. Depuis un moment maintenant, elle préfère accumuler la fatigue tout au long de la journée pour espérer ne pas risquer d’insomnie pendant la nuit. Il est encore rare qu’elle arrive à faire des nuits complètes, mais son rythme s’est malgré tout bien amélioré depuis le temps. C’est un peu rassurant, il y a des choses qui s’améliorent quand même pour elle. Peut-être qu’avec du temps, tout s’arrangera.

Seulement, il ne vaut mieux pas trop espérer, rester réaliste. La malchance lui colle à la peau et l’arrêt précipité du métro le lui rappelle que trop bien. Elle redresse la tête, regarde distraitement autour d’elle et comprend bien vite que le métro n’est pas encore arrivé à destination. Les portes restent closes et ils semblent être stoppés net en plein milieu du trajet, et non pas au prochain arrêt que Yoshi attendait.

À force de regarder autour, son regard croise celui de l’autre passager, qui la regardait déjà, le temps d’un instant mais assez longtemps pour qu’il ose lui adresser la parole. Yoshi ne veut pas être impolie mais elle détourne déjà un peu les yeux, gênée, en serrant un peu plus fort son sac contre elle. Elle l’entend se lever, sûrement pour s’approcher, alors elle tente de se faire plus petite qu’elle ne l’est encore, puis il tombe à genoux. C’est suffisant pour attirer son attention de nouveau et ses mots qui suivent la perturbent.

« Euh… » Comment ça, moi ? Comme dans ses rêves ? « Je… Je ne crois pas qu’on se connaisse, je ne vous ai jamais vu auparavant… »

Elle parle doucement, timidement surtout. Elle ose regarder un moment le visage de l’autre homme, tente de percevoir des traits familiers mais impossible à reconnaitre. Il semble un peu perdu, ça l’inquiète assez pour demander alors :

« Est-ce que tout va bien ? Le métro doit avoir eu un problème, mais ça ne devrait pas durer, je crois… »

Un changement de sujet peu assuré pour essayer de mettre un terme au malentendu. Il fallait que ça tombe sur elle, après tout, mais Yoshi ne sait jamais comment réagir.

@shizuma nakano

Le silence devient trop pesant, les épaules de Yoshi se tendent et elle aimerait bien aller se cacher ailleurs, mais ils ne sont que tous les deux dans le wagon, le métro est arrêté, il est impossible de fuir sur le moment. Elle prend sur elle, elle essaie de changer de sujet pour tenter de couper court à la conversation étrange qui s’annonce, mais c’est plus difficile que ça en a l’air. Maintenant, l’inconnu face à elle lui sourit grandement, c’est dérangeant et ça la met un peu trop mal à l’aise. Il lui parle de destin, elle ne sait plus où se mettre. Encore moins quand il vient s’installer près d’elle et elle se fait violence pour ne pas s’éloigner encore. Elle ne voudrait pas paraitre impolie.

« Si vous le dites… » ose-t-elle à peine répondre.

Elle se sent embarrassée, inconfortable, mais ça n’empêche pas l’inconnu de poursuivre la conversation, de lui donner des explications qu’elle n’avait pas encore demandées. Et si elle ne l’avait pas encore fait, c’est peut-être que son instinct lui en avait empêché. Il semble hésiter un instant et quand il évoque sa vie passée, sa ville d’origine, lorsqu’elle était encore vivante, de l’autre côté, Yoshi se crispe d’autant plus. Presque immobile, si on omet les légers tremblements qui la prennent. Elle le fixe malgré elle, elle le voit montrer son cache-oeil et retirer sa perruque, mais quand il évoque ses parents, elle détourne instantanément le regard.

Les yeux rivés vers le sol, elle se rappelle d’une personne qui venait à la maison, un soi-disant yakuza même si personne n’avait dit ce mot à voix haut à l’époque. Elle se rappelle maintenant… Même si elle ne voudrait pas à avoir à s’en rappeler. L’homme finit par se taire, ses explications semblent être terminées et il attend sûrement une réponse de la part de Yoshi.

Mais elle ne sait quoi répondre.

Elle sent surtout l’angoisse monter, la panique qui la fait trembler de tout son être.

Elle a toujours fui ses souvenirs passés, elle ne voulait plus jamais y repenser. Ce n’était pas de la faute de l’inconnu, il ne pouvait pas savoir après tout, du moins il ne savait pas tout.

« Je me rappelle de vous… »

Dans un chuchotement, elle avoue. Elle se rappelle l’avoir vu rentrer dans sa maison. Elle se rappelle aussi l’avoir croisé une fois dans les rues, en direction de l’école… Ce sont des souvenirs bien moins supportables pour le coup, car les brimades qu’elle subissait lui sont insupportables. Mais elle se rappelle aussi qu’il l’avait défendu ce jour-là, sans savoir. Elle finit par croiser les bras, s’accrocher à ses vêtements pour tenter de faire taire les tremblements liés à l’angoisse qui ne cesse d’accroitre.

« Je n’aurais jamais pensé revoir quelqu’un… D’avant. »

Elle tourne lentement la tête vers lui. Elle se rappelle de lui mais elle n’arrive pas à le reconnaitre. Il a changé, il a vieilli aussi. Ça la frappe vivement, ça lui prouve qu’il a vécu plus longtemps qu’elle. Yoshi, elle, elle a quitté le monde des vivants depuis un moment déjà, ce monde qui a continué d’avancer sans elle et qui continuera encore. Les larmes lui montent aux yeux mais elle les ravale assez vite, dans un sanglot ridicule. De nouveau, elle tourne la tête, elle lui fait maintenant presque dos.

Elle n’avait pas besoin de ça aujourd’hui, ni demain.

Mais maintenant que c’est fait, il n’y a plus de retour en arrière. Elle aurait dû se douter que ça finirait par arriver. Et de nouveau, ce n’est pas de la faute de l’homme.

Il ne pouvait pas savoir.

« Comment ça se fait que vous rêvez… De moi, en particulier ? On ne se connaissait pas vraiment… »

Même pas du tout, à vrai dire. Les rêves de sa vie passée, Yoshi connait ça aussi, même si ce n’est pas le même genre de rêve que ceux de l’inconnu, mais elle non plus, ne sait pas.

@shizuma nakano

Si seulement elle avait pu fuir était tout ce que Yoshi arrivait à penser, sans parler de toute la panique qui fait trembler ses mains qu’elle tente de cacher entre ses jambes. Elle se recroqueville toujours plus sur elle même, comme une façon de disparaitre, de s’effacer et de fuir la situation. Mais c’est déjà trop tard, les mots ont été dits et les souvenirs refont surface sans prévenir, impossibles à esquiver.

Alors, Yoshi, elle est coincée là. Elle tente de battre l’angoisse en tentant de s’intéresser un peu à cette personne du passé, dont elle a oublié le nom, ou qu’elle n’a jamais su, elle ne se souvient plus. Il lui explique faire des rêves de sa vie d’avant, du passé, et Yoshi ne peut que compatir avec lui. Si elle détournait le regard jusqu’à maintenant, elle ne peut s’empêcher de le regarder, le temps d’un instant.

« Je ne trouve pas ça bizarre… Cela m’arrive aussi d’en faire, des fois. C’est difficile d’oublier le passé, la vie d’avant, même ici… »

En retour, elle confie qu’elle aussi, elle fait des rêves sur son passé, de ces souvenirs traumatiques qu’elle nomme pas. Elle ne sait pas si elle l’avoue pour lui, ou plus pour elle. Peut-être qu’elle a aussi envie de se rassurer, d’une certaine façon, de savoir qu’elle n’est pas seule à être obligée de se souvenir. Elle ne connait pas son passé et il ne connait pas le sien, mais elle peut le comprendre. Elle ne peut pas s’empêcher d’être un peu curieuse alors, mais il laisse la curiosité le vaincre en retour. Il pose une question honnête, qui vaut la peine d’être demandée, mais qui tend Yoshi de nouveau. Elle aurait dû s’y attendre après tout. Si à l’époque ils n’avaient que quelques années d’écart, les choses sont bien différentes aujourd’hui.

Lui a pu grandir, murir.

Yoshi, elle, restera adolescente jusqu’à la fin, coincée dans ce petit corps qui gardera les mauvais souvenirs jusqu’au bout.

« Je… »

Comment savoir poser des mots sur une chose dont elle n’a jamais parlé avant ? Sa mort est taboue, elle ne l’a jamais vraiment définie à qui que ce soit, même si elle sait très bien qu’il suffisait d’un seul mot. Seulement, il est bien trop difficile à prononcer.

« Disons que c’est de ma faute… Je ne pouvais plus rester là bas. »

Ce n’était pas seulement de la sienne, mais malheureusement malgré toutes les crises de panique, tous les souvenirs qui restent ancrés dans sa mémoire, il lui est encore difficile de savoir parler de ce qu’elle a pu vivre, là bas. Si c’est elle qui a mis un terme à tout ça, ce n’est sûrement pas à cause d’elle si tout s’est fini ainsi. Seulement, si elle avait tant de mal à parler de ça dans un cabinet de psychologue, ce n’est pas non plus dans un métro arrêté avec un quasi-inconnu qu’elle arrivera enfin à s’ouvrir. Elle pince ses lèvres entre elles et de nouveau, elle fuit le regard de l’autre.

Le silence devient vite pesant, même après seulement quelques secondes. Alors, un peu malgré elle, elle ose aussi demander à son tour :

« Et vous…? J’ose dire que, contrairement à moi, vous avez pu vivre plus longtemps. Je ne sais pas à quoi ressemble l’autre Tokyo depuis. Je n’ai jamais revu personne jusqu’à présent, je ne sais même pas ce que sont devenus mes parents… »

Elle serait curieuse de savoir, même si sa famille ne lui manque pas tellement, ses parents restaient la seule attache qu’elle pouvait avoir de son passé. Le reste n’avait plus aucune importance. Elle n’attend pas que l’autre homme sache lui répondre, mais qui sait… La rencontre était déjà assez étonnante pour ne pas espérer autre chose.