It seems like we have a problem here ft. Mino

« Ah mais c’était un accident aussi, en fait.

... La précision est importante pour le coup. »

Disons que tu pouvais difficilement deviner que c'était pas encore une de ses expériences un peu ... étranges. Pour rester poli. Tu sais vraiment pas si c'est plus rassurant que ça soit aussi un accident ou pas ; c'est quand même pas commun de se prendre une voiture. Deux fois. Elle essaye de te coincer en te disant que tu triches, tu réponds en reprenant à bouffer en haussant les épaules. Est-ce que c'est la fatigue qui commence à jouer t'en es pas sûr mais tu sembles fatiguer à vue d'œil avec cet échange. T'as l'impression que de toute façon si elle en a pas envie elle t'écoutera pas et t'as beau creuser et ramer ta patiente atteint ses limites ; tu restes humain après tout.

« Et puis vous pouvez le raconter avec moi, je sais garder des secrets !

Mouai. Fini de manger un bout déjà, j'te rappelle que tu sors du croque mort après qu'il t'ait vidé l'estomac. Plutôt que de t'intéresser à mes histoires »

Tu soupires. Pourquoi tu irais lui raconter un truc que même certain·e·s de tes ami·e·s les plus proches connaissent que dans les grandes lignes ? En même temps, tu vois pas comment tu pourrais leur parler de ta mort sans que ça les inquiètent alors tu préfères éviter le sujet. Ou minimiser les faits. Dire que c'était pas si grave, pas si violent et c'est pas comme si t'avais souffert. Tu te grattes la tête et en passant la main tu sens la marque sur ton crâne, cachée par tes cheveux en bataille. Ton visage se ferme quelques instants avant que tu te racles la gorge ; c'est pas le moment de penser à ce genre de truc. T'as déjà assez à faire avec Mino et sa curiosité un peu trop envahissante

« Ça me rappelle ce que j’ai lu sur la psychologie.

Bizarre ça. »

Tu retiens un rictus très légèrement moqueur. Elle est à deux doigts de découvrir ton vrai métier et au fond, ça te fait un peu marrer.

« Bah oui, il faut être un psychopathe pour faire ça sans se soucier des autres.

Pas forcément. L'égoïsme c'est intrinsèque à l'humain, pas besoin d'avoir des troubles de la personnalité pour ça tu sais. Y'en a qui s'en foutent juste, c'est comme ça. Mais toi t'as l'air de te soucier des autres, peut-être même un peu trop non ? Sinon t'éviterais pas d'en parler à tes ami·e·s ou de les tenir à distance. »

Pour le coup elle te mentionne le sujet de la psychologie et tu peux pas t’empêcher de digresser un peu.

« Si ça se passe par comme prévu je survis, donc normalement ça ne pose pas de problème. Sinon que ça fait mal plus longtemps.

Et si un jour ça se passe pas comme prévu du tout tu comptes faire quoi ? Imaginons ça se passe si mal que t'embarques quelqu'un dans ta chute. T'es capable d'en assumer les conséquences ? »

Le ton se fait un poil plus ferme. Tu marches sur un fil très tendu entre l'engueuler et essayer de lui faire prendre conscience que ses actes ont des conséquences sur elle mais aussi sur les autres. Et de sa propre hypocrisie de pas vouloir impliquer les autres alors que ça peut arriver. Et que t'es pas sûr qu'elle ait le moindre plan ou raisonnement prêt au cas où. C'est là où tu te rends compte que malgré son besoin presque maladif de sensation forte ça reste une gamine qui agit trop facilement sur un coup de tête. Elle te dit qu'elle aime bien être avec toi et tu préfères pas répondre car l'inverse est pas forcément vrai. Surtout quand t'es autant au bout du rouleau et qu'on t'appelle pour gérer une môme qui est même pas la tienne. Nouveau soupir.

« Vous êtes gentil, fort, et je sens que je peux compter sur vous. »

Tu te frottes les tempes.

« J’aimerais bien passer plus de temps avec vous… Oh, les salles d’arcades, vous aimez ? Ou le karaoké ?

... Mino. Tu peux pas compter et te reposer sur une seule personne et encore moins quelqu'un que tu connais pas. Et je pense pas que ça soit une bonne idée de passer plus de temps ensemble comme tu dis. J'ai déjà pas beaucoup de temps pour moi j'en ai encore moins à t'accorder. Aujourd'hui c'était un cas de force majeure, mais une fois que t'auras fini de manger j'te ramène. »

Tu ne relèves pas sa réflexion sur le fait de se jeter sous les roues d’une voiture ; tu as largement passé le stade d’être surpris. Ou d’essayer de comprendre réellement sa logique. Enfin, tu essayes, tu as tendance à être très têtu quand il s’agit de se mettre à la place de quelqu’un. Sauf que tu reconnais sans problème que Mino suit une logique très particulière et qui lui est propre ; ça t’évite beaucoup de migraines d’en arriver à cette conclusion. Elle te dit qu’elle n’a pas faim et tu n’as pas envie de la forcer ; au pire si besoin vous ferez un arrêt en rab’ si elle a faim lorsque tu la ramèneras. T’es plus à ça près et vu l’heure tu abandonnes l’idée d’avoir la fin de la journée pour toi. En attendant tu continues de picorer des frites en l’écoutant.

« Je vais finir par croire que vous me prenez pour une gamine. Je suis adulte !

… Du genre t’as quel âge ? C’est vrai que j’crois pas que tu me l’as dit. »

Si tu dois deviner, tu dirais début vingtaine. Au premier abord tu aurais dit même pas 17 ans mais t’oublies souvent que son style vestimentaire à tendance à faire rajeunir. En plus t’es pas le meilleur pour deviner l’âge des gens -surtout depuis ta mort. Et que tu peux facilement tomber sur des personnes qui ont l’air plus jeune que toi mais qui cumule déjà plusieurs siècles. Mais elle te donne pas l’impression d’être là depuis des siècles, surtout qu’elle ne semble pas se lasser de tester des choses toujours plus extrêmes. Et si tu as bien remarqué quelque chose chez les fantômes dépassant un certain âge, c’est que la lassitude à tendance à s’installer petit à petit. C’est pas universel mais ça donne un indice la plupart du temps.

« Il ne faut pas s'en ficher comme ça, c'est tout. Ce n’est pas pareil !

Tu as pas l’air si convaincue que ça. Et moi non plus d’ailleurs. »

Tes paroles n’ont aucune trace de jugement, c’est un fait. Tu as l’habitude des mensonges, des gens qui ne te regardent pas dans les yeux et qui semblent préféré éviter les sujets trop difficiles pour elleux. Ça fait aussi parti de ton travail et de ton quotidien et avec tes décennies d’expériences ton instinct s’est affuté. Sa voix se fait toute petite quand elle parle de ses ami.e.s qui la comprennent et tu préfères ne pas retourner le couteau dans la plaie.

« Et il n'y a pas que vous.

J’espère bien. »

Tu regardes le plateau qui semble se vider et tu te dis que c’est peut-être le bon moment pour décamper et la ramener. Sauf qu’elle semble avoir un plan bien différent en tête ; et tu aurais dû t’y attendre. Preuve que ton fameux instinct à encore besoin de quelques ajustements. Et quelques décennies d’expériences en rab’.

« Non, vous ne me ramenez pas.

Et pour quelle raison exactement ?

Sinon il va y avoir un autre cas de force majeure. »

Alors celle-là il fallait oser ; et elle ose. Tu fermes les yeux alors que tu avais commencé à te lever, arrêté en plein dans ton élan. T’es assez vieux pour reconnaître une tentative très peu dissimulée de chantage et même pas un chantage très fin. Non, soyons sincère : c’est une des pires tentatives de chantage que tu as pu entendre, voir ou vivre depuis … Très longtemps. Au moins tes parents avaient la décence d’essayer d’enjoliver les choses et de faire preuve d’un peu d’imagination. Tu soupires avant de continuer à te lever comme si tu n’avais pas entendu sa menace. Une fois debout tu la regardes de toute ta hauteur ; elle est vraiment pas grande.

« Et quoi comme cas de force majeure ? Tu vas reboire de l’acide ? Ou tu vas essayer encore un moyen créatif et coloré de te retrouver chez le croque mort ? Mino, j’ai plus de 80 ans, ce genre de chantage ça marche pas avec moi. Et vaut mieux vu mon boulot. »

Ça peut sembler dur voir agressif et pourtant tu lui parles calmement, sans animosité. Parce que tu lui dis simplement la vérité ; et que tu vois aussi que bien qu’elle te menace le cœur semble pas y être. Notamment parce que tu sens que sa voix tremble et que son regard s’assombrit. Alors tu soupires de nouveau avant de t’accroupir à côté d’elle et se mettre à sa hauteur.

« Mino. Faire du chantage ou jouer de la menace c’est l’inverse même de la gentillesse. J’veux bien d’aider, je veux bien t’écouter mais faut que l’écoute aille dans les deux sens sinon ça peut pas fonctionner. Alors d’accord, j’uis prêt à pas te ramener tout de suite mais à une condition, fait preuve de sincérité. Et je te le dis tout de suite je suis très doué pour voir les mensonges, même si j’le dis pas. »

« J'ai deux cent vingt ans. »

Pas besoin de dire que tu la crois pas. Genre, même pas un instant. Il suffit que tu croises les bras en la regardant fixement pour te faire comprendre. Peut-être que c’est son côté « je me rebelle » ou le léger regard fuyant mais tu ne te laisses pas avoir par ses mensonges. Et puis des gens qui ont deux cent, trois cent ans t’en connais suffisamment pour comprendre que ça cloche. Et ça loupe pas elle t’avoue rapidement que c’est un mensonge en donnant son âge. T’avais plutôt bien deviné, finalement. T’es quand même encore un peu étonné de savoir qu’elle atteint la vingtaine car elle fait vraiment jeune mais en même temps, toi, tu commences à avoir vécu et tes yeux fatigués, ta barbe de plusieurs jours et ta façon de t’habiller te trahissent toi et ta quarantaine à jamais figée.

« Donc je suis adulte ! Pas une gamine !

C’est débattable. »

Pour toi tout ce qui dépasse pas la trentaine fait jeune. Gamin même. Tu dis ça avec aucun jugement c’est un état de fait ; t’as vieilli trop vite. La vie t’a poussé à devoir devenir adulte un peu plus tôt que tu l’aurais voulu, à devoir te protéger, à devoir te battre. Alors forcément la vingtaine ça te paraît super loin, surtout depuis ta mort. Et même si c’est plus une gamine d’un point de vue légal, de ton point de vue c’est une ado, une ado qui aime se mettre en danger, tester l’autorité. Un comportement typique d’ado quoi. C’est pas comme si t’étais jamais passé par là non plus. Elle reconnaît qu’elle fait jeune et tu hoches la tête -même si tu sais pas si le « petite » fait référence à sa taille ou son âge. Dans le doute tu t’abstiens de tout commentaire surtout que tu es biaisé : si elle parle de sa taille, vu la tienne, elle paraît forcément petite.

« Je n’ai pas besoin de vous convaincre de toute façon.

C’est vrai, ça reste que j’vois pas en quoi c’est pas pareil. »

Toujours aussi agitée, voilà qu’elle semble à la fois bouder, craquer et ne plus trop savoir quoi dire. Toi non plus, au fond, t’es fatigué et vidé et tu as du mal à trouver un point d’accroche. C’est pas souvent et ça te perds. Ça te perd d’autant plus que tu connais pas grand monde d’aussi … Borné ? Non, autant capable de refuser de l’aide. Ou de se braquer. Au fond sur ce point là elle te fait penser à toi-même et ton incapacité à demander -ou même accepter de l’aide. A tourner autour du pot et éviter les conversations qui fâchent. Sauf que toi aussi, t’es têtu et surtout t’as quelques années d’avance. Malheureusement pour elle.

« Mais si je suis gentille avec vous, vous êtes vilain !

Mino, on tourne en rond là. Tu viens littéralement de faire des menaces et du chantage même pas très bien caché de te remettre en danger pour me faire céder. C’est pas de la gentillesse et c’est loin d’être sain, comme approche. »

Tu soupires avant de te relever et regarder l’heure sur ton téléphone avant de poser son regard sur elle à nouveau, alors que les larmes se remettent à couler de nouveau.

« Je ne mens pas je veux juste passer du temps avec vous !

J’ai jamais dit que tu mentais sur ce point-là. Mais Mino, tu peux pas juste menacer les gens pour outre passer leurs limites. Je t’ai proposé de t’écouter et d’être là si t’as besoin, mais seulement et uniquement si t’acceptes d’être honnête. Et que tu me refasses pas le même coup de pour la serre, ou comme quand tu as mentis sur ton âge. Donc j’veux bien te ramener, qu’on prenne le temps sur le chemin si t’as envie de parler. C’est tout, c’est à prendre ou à laisser. »

Et ton visage montre que tu reviendras pas sur tes paroles. Même si t’as tout sauf de laisser une gamine seule en larme dans un fast-food alors qu’il fait de plus en plus sombre dehors.

C’est comme ça c’est tout, de quoi te faire rouler un peu des yeux. C’est justement pour ce genre de réflexions que tu la vois comme ce qu’elle est : une gamine. Le genre "d’argument" que t’entend que dans la bouche d’adultes qui savent pas s’expliquer ou de plus jeunes qui cherchent à s’affirmer. Tu laisses couler, comme le reste, après tout tu vas pas passer la soirée à essayer de la faire changer d’avis -pour ce que ça change pour toi. Alors t’hausses les épaules, visiblement peu convaincu. Et surtout t’as pas besoin d’insister pour savoir que quoi qu’il arrive, elle arrivera pas à te convaincre.

« Ce n’est pas des menaces...

Si, clairement. »

T’es assez catégorique sans être cassant non plus. Tu sens qu’elle patauge un peu, qu’elle ne sait plus trop comment te répondre, ni quoi te dire. Mise au pied du mur, t’as fini par la coincer suffisamment pour qu’elle s’excuse de nouveau ; est-ce que c’est sincère ? Tu sais pas trop. Difficile de dire, pour le peu que tu la connais t’as pas assez d’éléments de comparaison. Mais t’es peut-être trop gentil -et un poil fatigué et tu te dis que ça a l’air un minimum sincère. Un minimum. Tu soupires, signe que tu acceptes ses excuses pour le moment. Tu gardes le droit de revenir dessus si elle recommence à t’embarquer dans des histoires improbables comme avec la serre. Et au fond, tu doutes pas une seule seconde que ça sera le cas : que ça soit avec toi ou quelqu’un d’autre.

« Mais je suis honnête ! »

Nouveau soupir.

« Écoute, si tu le dis. Mais dans ce cas là y’a pas besoin d’avoir recourt à la menace ou à un chantage aussi facilement démontable et aussi visible. L’honnêteté c’est pas que dire la vérité, c’est aussi ne pas se cacher ce genre de techniques pour piéger les gens. »

Sans parler du fait qu’elle fait une bien mauvaise menteuse. T’as du mal à croire à la sincérité de ses excuses mais jusqu’à présent, t’as réussi à bien voir dans son jeu et elle semble facilement revenir sur ses propres mensonges. Debout face à elle, tu l’entends qui acquise sans vraiment de conviction mais ça te suffit. Au moins pour ce soir, toi qui es fatigué, épuisé même après une fin de journée aussi … Compliquée.

« Je veux bien.

Ça marche. Allez, on file y commence à se faire vraiment tard. »

Et tu dis même plus forcément ça que pour elle, mais aussi -et surtout pour toi. Tu t’étires une dernière fois avant de débarrasser la table le temps qu’elle se prépare. Le temps se rafraîchi et t’aimerais éviter de finir en glaçon malgré ton sang chaud. Tu reviens et tu récupères tes affaires avant de faire un léger signe de la tête pour qu’elle te suive

« Vous voulez savoir quoi ?

Boarf, je sais pas, c’est surtout si toi t’as envie de parler de quelque chose. Ce que tu veux. Après tout on a encore un moment devant nous le temps que j’te ramène. »

Au moins elle ne pleure plus, c’est déjà ça.
Et tu t’en rappelleras, de ce début de soirée.