TW: élitisme, suicide, homophobie et intolérance famillialeMa vie avant ma mort, c'est compliqué, beaucoup de choses ne me manquent pas.
Je suis né en Angleterre au sein d'une famille chaotique, je sais par ma mère que mon père était un junkie, c'est pour cette raison qu'elle l'a quitté quand j'avais deux ans. Après trois années à se débattre entre son travail, les factures et l'éducation de son fils unique, moi, elle a rencontré un homme en voyage d'affaires. Un japonais dont la situation était confortable. Et encore un an après ça, j'avais donc six ans, nous sommes partis au Japon. Ma mère s'est mariée avec cet homme.
Je suis allé dans une école anglaise jusqu'à mes douze ans, j'y ai appris le japonais très vite, car à la maison, on ne parlait qu'en japonais. C'était une règle instaurée par mon beau-père. Ça a aussi été difficile pour ma mère, évidemment.
Entre temps on a fait changer mon nom prénom pour que je m'intègre mieux, je suis donc devenu Yukichi Hori. J'ai aussi eu un petit frère, demi-frère, qui fut vite le préféré de mon beau-père vu que c'était son fils biologique. Même si j'ai été reconnu par cet homme suite au mariage avec ma mère, il savait me faire comprendre qu'il aurait préféré que ma mère n'ait pas eu d'enfants avant leur rencontre.
À douze ans, je suis entré dans un collège japonais où ma couleur de cheveux était mal vue, je n'entrais pas dans le moule. J'ai donc dû colorer mes cheveux en noir, chose que je détestais, car avec ma peau très pâle ça me donnait un air membre de la Famille Addams. Le collège, ça n'a pas été simple, j'ai découvert la rigueur japonaise et le fait d’être souvent mis à l'écart. De plus, mon japonais avait beau être assez bon à l'oral, j'ai quand même éprouvé quelques difficultés à l'écrit.
En même temps de galérer à atteindre le niveau des autres élèves, mon beau-père ne se gardait pas de me dire que je devais faire plus d'efforts, que ce que je faisais n'était pas suffisant et que mon écriture du japonais était catastrophique. Ma mère a bien essayé de lui demander d'être indulgent avec moi, mais il répondait que sa sévérité était nécessaire si je voulais m'intégrer au Japon.
Il était tout aussi sévère avec mon demi-frère, mais clairement, ses mots étaient toujours mieux choisis lorsqu'il s'agissait du plus jeune.
Arrivé au lycée, j'ai commencé à rattraper mon retard en écriture, en même temps, avec tous les cours de soutien que j'étais obligé de prendre, heureusement que ça a fini par payer. Je continuais à me teindre les cheveux en noir, ils étaient coupés en fonction des standards du moment. Et même si j'ai parfois eu des remarques au sujet de la couleur de mes yeux, on ne m'a jamais incité à porter des lentilles.
J'ai rejoint le club de théâtre où je me suis fait des ami.e.s, de bons ami.e.s, pas des personnes avec qui je parle une fois par jour et c'est fini. Moralement, ça m'a vraiment aidé à tenir le rythme du lycée et la pression mise par mon beau-père. Je n'ai jamais fait partie des meilleurs élèves, j'étais juste au-dessus de la moyenne. Contrairement à mon demi-frère qui lui était l'excellence incarnée. Autant dire que j'étais le mouton noir de la famille.
Je me souviens qu'une fois ma mère s'est excusée auprès de la mère de mon beau-père (ma belle-grand-mère quoi), disant que c'était à cause des gènes de mon père biologique que j'étais si médiocre. Je sais qu'elle faisait tout pour plaire à cette famille très japonaise et qu'elle a aussi eu du mal à s'intégrer. Mais c'était plutôt violent de sa part, ces paroles. Je sais aussi qu'elle était folle amoureuse de son mari, mais je me suis parfois senti de trop dans cette famille.
Au passage, parlons des sentiments. Si en amitié, ça allait grâce au club de théâtre. En amour, c'était un tout autre son de cloche. Ce que je regardais chez les filles, c'était leurs longs cheveux et leurs vêtements. Les garçons, en revanche, étaient attirants, surtout les sportifs. Vu les idées de mon beau-père sur l'homosexualité, j'ai gardé ça pour moi.
Au fond, j'étais jaloux des filles. Je ne me suis jamais senti femme et pourtant, chaque fois que j'étais seul à la maison, j'essayais les vêtements de ma mère et son maquillage. Je me sentais à la fois bien et terriblement honteux. À l'époque, j'avais l'impression d'être un pervers malade mental, c'est ce que la société voulait me faire croire.
Évidemment, avec mon niveau scolaire, je n'ai pas pu entrer dans une grande université après le lycée. Et il n'était pas question que je fasse des études de théâtre malgré mon attrait pour cette discipline. J'ai donc fait des études de droit dans l'optique de devenir avocat.
Sans grande surprise, j'ai échoué ma première année. Je ne pouvais étudier correctement alors que j'avais l'impression d'étouffer. J'étouffais ma sexualité en essayant d'être ce qu'on appelait “normal”, j’étouffais qui j'étais dans des vêtements stricts et masculins, j'étouffais même mes origines en colorant mes cheveux.
Quand j'ai raté ma première année d'université, on ne m'a pas fait de cadeaux. Disons même que la violence des propos de mon beau-père, et ceux terriblement maladroits de ma mère, m'ont noyé. Alors que je me débattais hors de l'eau pour être qui ils voulaient plutôt que qui j'étais, recevoir une telle quantité de propos dénigrant sur mes capacités intellectuelles m'a entraîné vers le fond.
tw suicide :
Alors, j’ai rendu service à tout le monde en sautant du haut d’un building. C'était le seul moyen de faire taire le monstre “anormal” dans ma tête tout en arrêtant de faire honte à ma famille. De toute façon, à qui je manquerai ? Mon demi-frère faisait la fierté de la famille et en se débarrassant de moi, il n'y aurait plus rien de négatif dans cette famille si parfaite.
Après avoir sauté, je suis arrivé ici, dans une nouvelle version de Tokyo pour une nouvelle vie.
J'ai commencé à laisser pousser mes cheveux et à me défaire de cette foutue teinture noire. J'ai pu commencer à chercher qui j'étais réellement. Grâce à des connaissances et internet, j'ai pu essayer plein de choses sans être jugé. M'intéresser aux hommes, changer de look. Mettre des mots sur ma personnalité. Homosexuel, femboy, queer, ce n'était plus des tabous. Ça ne s'est pas fait du jour au lendemain, j'étais terriblement embarrassé au début. Mais ici, c'est différent, au lieu d'être dénigré, j'ai été encouragé. Dire merde aux codes préétablis, assumer mon goût prononcé pour les vêtements jolis/mignons/unisexes/féminins, porter des chaussures à talons, utiliser du Make up, colorer mes cheveux aux couleurs que je veux. Je suis sorti des carcans imposés par la société vieillissante et je commence enfin à vivre. Ironique de devoir mourir pour se sentir vivant.
Cela fait donc six mois que je suis dans ce nouveau monde, j'ai encore tant à apprendre et à vivre, j'ai bien l'intention de profiter de chaque seconde.