It's good to see you || PV Takuma

Voir son entourage heureux suffisait généralement à satisfaire Haru, et c'était encore plus vrai lorsqu'il s'agissait de son meilleur ami. Il n'y avait qu'à voir le sourire qui illumina son visage lorsque Takuma lui dit qu'il était content. Quoi qu’étant donné la facilité avec laquelle Haru souriait (un vrai imbécile heureux), on ne pouvait pas vraiment affirmer quoi que ce soit en se basant simplement là-dessus. Mais nul ne pouvait contredire le fait qu'à cet instant, il semblait particulièrement joyeux. Même lorsque son ami s'inquiéta de l'usage qu'il faisait de ses dons de nécromanciens, et bien qu'il ait conscience de la gravité du sujet, il ne perdit pas son air réjoui. Un cas désespéré, je vous le dis.

— T'inquiètes pas ! Même si je voulais fabriquer une potion qui transforme les lémures en zombies, je ne saurais pas comment faire.

Pour l'instant, il préférait se concentrer sur la maîtrise de son pouvoir. Quand il parviendrait à éviter que celui-ci ne se déclenche n'importe quand, alors peut-être s'intéresserait-il aux potions. Après tout, cela pouvait s'avérer amusant... à condition de ne pas tout faire exploser, n'est-ce pas ? Il attendit que Takuma ait fini de signer pour jeter un coup d’œil à ses dessins, et lui lança un regard admiratif en lui rendant son appareil.

— Tu t'es amélioré ! Même si c'est pas mon domaine, les progrès sont visibles. Pour ta couleur de cheveux, tu utilises des potions ? Et j'ai un chat, moi aussi ! Je pourrais voir le tien ? Il est comment ?

La découverte d'un point commun avec son ami avait rendu le garçon enthousiaste, ou plutôt, encore plus enthousiaste qu'il ne l'était auparavant. Mais quoique la conversation aie tout son intérêt, il commençait à se dire que rester debout n'était peut-être pas une bonne idée. Ils allaient finir par avoir mal aux jambes s'ils restaient plantés là.

— On s’assoit quelque part ?

Il faisait assez beau pour s'installer dans l'herbe s'ils le souhaitaient, et ce serait probablement le cas, car le banc le plus proche était occupé par deux fantômes qui se regardaient en souriant et se tenaient la main. Haru n'aurait pas voulu les déranger.

Le compliment du jeune homme sur les talents de dessinateur de son ami eut l'air de lui faire plaisir. Tant mieux, car c'était entièrement sincère. Haru était bien trop honnête pour mentir là-dessus, voire pour mentir tout court, et de toute façon, il connaissait assez bien Takuma pour se permettre de lui faire des critiques s'il les pensait justifiées. Bien que cela soit assez rare, car il fallait pratiquement le vouloir pour dire ou faire quelque chose qui déplaisait au brun. Il hocha la tête lorsque le vampire mentionna avoir toujours voulu se teindre les cheveux en bleu; maintenant qu'il y pensait, c'était quelque chose qu'il l'avait déjà entendu dire par le passé. Son expression se fit pensive alors que des souvenirs doux-amers des moments heureux de sa vie passée remontaient à la surface, mais il les repoussa. Il devait se concentrer sur le présent. C'était le moment de créer de nouveaux souvenirs, des souvenirs qui ne le rendraient pas mélancolique lorsqu'il y repenserait. Il regarda la photo que lui montrait Takuma, et aussitôt, il retrouva son habituel sourire.

— Adorable !

Voilà quelque chose qu'ils avaient en commun, leur affection pour ces gracieuses bêtes à poils qu'étaient les chats. Même si dans les faits, Haru les aimait autant qu'il aimait la plupart des animaux. La seule raison pour laquelle il avait adopté un chat plutôt qu'une mésange ou un serpent, c'était qu'il en avait trouvé un avant. Après tout, on croisait beaucoup plus de chats que d'autres bestioles errant dans les rues de Tokyo. Et quand l'un d'eux, affamé, lui avait sauté sur les genoux en miaulant pour réclamer une part de son repas, il n'avait tout simplement pas pu résister. Il s'installa en tailleur dans l'herbe fraîche, en face de Takuma.

— Hé, j'ai un téléphone portable maintenant ! Même si je ne m'en sers pas beaucoup.

Son meilleur ami avait raison en disant qu'il n'était très familier avec la technologie. Il avait grandi sans pendant les dix premières années de sa vie, dans une vielle maison perdue dans la campagne où ils n'avaient même pas la connexion internet – pour ça, il fallait aller au cybercafé de la ville d'à côté. Et même une fois qu'il avait emménagé en ville avec sa sœur, il n'avait pas ressenti le besoin d'avoir un portable. Il faut dire qu'avec son mutisme, pouvoir appeler des gens ne lui était pas d'une grande utilité. Et puis, les seules personnes qui comptaient vraiment pour lui, ils les voyaient tous les jours.

— Je crois que j'ai pas de photo à te montrer... Alors, c'est un gros matou tigré avec des poils ébouriffés et des yeux verts. Il bouffe n'importe quoi, je te jure, tu lui donnes des légumes, il est content ! Il a pas trop de nom, juste plein de surnoms, parce que j'arrive pas à en choisir un. En ce moment, j'aime bien l'appeler Mochi, parce qu'il est vraiment collant.

Haru se gratta la tête, riant à la fois de sa propre incapacité à prendre une décision et du petit jeu de mot qu'il venait de faire – il en était assez fier.

— Je parie que tu as appelé le tien Happy en référence à un certain chat bleu.

Il fit un clin d’œil à son ami, certain qu'il comprendrait de quoi il parlait.

Il fallait s'y attendre, mentionner le sujet de prédilection de Takuma le lança aussitôt dans une tirade enthousiaste. Il pouvait devenir intarissable parfois, Haru le savait bien, et ça ne l'avait jamais dérangé. C'était toujours intéressant de l'écouter en parler, même si quelque fois, le nécromancien perdait un peu le fil, surtout lorsque Takuma évoquait des manga peu connus. Il faut dire qu'avant de le rencontrer, Haru lisait très peu. C'était d'abord pour mieux comprendre la passion de son ami qu'il s'y était intéressé, et finalement, il s'était retrouvé à suivre quelques manga avec lui, bien qu'avec moins d'assiduité. D'ailleurs, il n'en avait plus lu depuis sa mort.

— Peut-être qu'un jour, tu en rencontreras un qui pourra rivaliser avec toi en connaissances. Il doit bien y en avoir quelques uns dans le monde... même si je doute qu'ils aient également ton talent en dessin.

Il avait toujours admiré le talent de son ami dans ce domaine, et surtout les efforts qu'il faisait pour s'améliorer. Voir de ses propres yeux les progrès qu'il avait fait, le style qu'il s'était crée l'avait réjoui plus encore que s'il avait lui-même été l'auteur de ces dessins.

— Tu sais ce que tu veux faire, tu es doué pour ça et en plus, maintenant tu as tout ton temps pour y arriver. Je suis certain que tu réalisera ton rêve.

Haru fit un grand sourire. Bien évidemment, il savait que le vampire voulait devenir mangaka. Il le savait depuis des années, et il l'avait toujours soutenu. Il l'aurait fait de toute manière, que Takuma aie souhaité devenir menuisier, ingénieur informatique ou bien danseur. Non seulement parce c'était son ami, mais également parce qu'il éprouvait beaucoup d'estime pour les personnes qui avaient un rêve et faisait tout pour le réaliser. Peut-être aussi qu'il les enviait un peu, lui qui n'avait pas de but précis dans la vie, pas d'objectif à atteindre si ce n'est de profiter de chaque instant. Ce qu'il faisait tous les jours, mais c'était différent. Il n'avait pas de direction, il avançait sans gouvernail, en se laissant pousser par le vent. S'il était resté dans le monde des vivants, cela aurait probablement fini par lui poser problème. Un jour où l'autre, il aurait dû choisir un métier, et plutôt tôt que tard. Aujourd'hui, cela ne lui causait pas de difficultés, mais peut-être serait-ce le cas un jour.

— Comment tu as su que tu voulais être mangaka ?

Il regarda son meilleur ami dans les yeux, le léger sourire qui flottait toujours sur ses lèvres contrastant avec le sérieux de son regard.

Haru réfléchit. Pourquoi il lui avait posé cette question ? Il ne savait pas vraiment. Il se doutait que la découverte d'une passion était différente pour chacun et ce n'était pas en connaissant celle de son amie qu'il aurait soudainement le déclic. Et il ne s'était jamais soucié de ce genre de choses auparavant. Qu'est-ce qui avait changé ? La mort ? Son pouvoir ? Ou peut-être... quelqu'un.

En règle générale, Haru n'aimait pas beaucoup parler de lui, préférant découvrir ce que les autres avaient à offrir. Il était particulièrement rare de l'entendre se plaindre ou raconter ses problèmes, à moins que la situation ne l'exige. Mais avec Takuma, c'était différent. Son ami le connaissait trop bien pour ne pas le voir lorsque quelque chose le préoccupait, et il était trop têtu pour le laisser s'en tirer sans explications. Haru avait fini par se rendre à l'évidence : il était inutile, pour ne pas dire stupide, de vouloir lui cacher quelque chose. Et finalement, le fait d'avoir quelqu'un à qui se confier s'il en ressentait le besoin était plutôt un point positif. Même s'il n'en avait pas conscience, c'était certainement l'une des raisons pour lesquelles il tenait autant à Takuma.

— Ça n'a peut-être rien à voir, mais il y a quelqu'un, un garçon que j'ai rencontré il y a quelques mois. Il compte énormément pour moi, un peu comme toi, mais d'une façon différente.

Le sourire d'Haru s'élargit, le visage d'un petit brun aux yeux bleus flottant dans son esprit, et il vérifia par réflexe que le lapin magicien qu'il lui avait offert était toujours à sa place, accroché à la fermeture de son sac à dos. En langue des signes, les personnes sont souvent désignées par un surnom pour éviter d'avoir à épeler leur nom lettre par lettre chaque fois qu'on parle d'eux, et Haru avait baptisé Asuma "Lapin" en souvenir de ce cadeau. Et également parce qu'il trouvait que cet animal adorable lui convenait parfaitement.

Haru fit un signe affirmatif de la tête, mi-attendri mi-amusé par les recommandations de son ami.

— T'inquiètes pas, impossible que je t'oublies. C'est comme si tu faisais partie de ma famille, maintenant. Une sorte de grand-frère un peu bizarre, tu vois ?

Il rit et appuya affectueusement de l'index sur le bout du nez de son ami. Il pensait ce qu'il venait de signer. L'autre garçon était vraiment comme un frère pour lui, quelqu'un sur qui il pourrait toujours compter, avec qui il pouvait tout partager. Il n'avait jamais pu trouver cela chez sa soeur. Il l'aimait énormément et c'était réciproque, mais de par l'absence de leurs parents, elle avait joué un rôle d'adulte responsable auprès de lui, et il n'avait jamais pu créer avec elle la même complicité qu'il avait avec Takuma. Leur lien était unique, et d'autant plus précieux.

Et c'était aussi le cas avec Asuma, mais ses sentiments pour ce dernier étaient différents; nouveaux. Il avait encore du mal à les comprendre. Peut-être qu'en parler pourrait lui être d'une certaine aide.

— Tu sais, ce garçon...

Il hésita.

— C'est plus qu'un ami pour moi.

Alors qu'il signait ces mots, le souvenir fugace des quelques baisers échangés avec le petit brun lui revint à l'esprit, et ses joues prirent une teinte un peu plus rose qu'à l'ordinaire.