It's good to see you || PV Takuma

C'était une journée magnifique. Le ciel était d'un bleu limpide, et la température avoisinait les les vint-cinq degrés à l'ombre. Par ce temps idéal, nombreux étaient les Tokyoïtes qui se promenaient dans le parc Yoyogi, et c'était précisément la raison qui avait poussé Haru à choisir cet endroit. Assis en tailleur sur un banc, à l'ombre d'un arbre, il avait les yeux fermés et son visage exprimait une grande concentration. Il s'était écoulé environ deux mois depuis qu'il était devenu un nécromancien. Or, pendant cette courte période de temps, son pouvoir lui avait causé un certain nombre de problèmes. Il ne comptait plus le nombre de fois où il avait involontairement lu dans les pensées de pauvres gens qui ne lui avaient rien demandé, et il commençait sincèrement à en avoir assez. Il avait donc pris la décision de s'exercer. Il ne savait pas combien de temps il lui faudrait pour maîtriser son don, mais la logique lui suggérait que plus il l'utiliserait, plus il s'améliorerait. C'était du moins ce qu'il espérait. Et c'est pourquoi il se trouvait actuellement au milieu d'un endroit rempli de monde, s'efforçant de tirer quelque chose du brouhaha de pensées qui l'entourait. Mais pour l'instant, tout ce qu'il avait réussi à faire, c'était se refiler une jolie migraine.

Au bout d'un moment, il rouvrit les yeux et coupa les vannes de son pouvoir. Rien ne lui garantissait que ce dernier n'allait pas refaire surface dans quelques temps, mais pour l'instant, il n'avait plus la sensation d'être une antenne de radio réglée sur toutes les stations en même temps. Il aurait été idiot de se fatiguer inutilement ; pour l'instant, mieux valait qu'il fasse une pause. Et puisqu'il se trouvait au parc, qu'est-ce qui l'empêchait d'en profiter pour flâner un peu au soleil ? Un large sourire aux lèvres, le jeune Japonais quitta son siège de bois et se mit à déambuler gaiement parmi les promeneurs. Sa migraine ne tarda pas à disparaître, ce qui ne rendit sa balade que plus agréable. Il se pencha pour admirer une libellule qui venait de se poser sur un brin d'herbe. Non loin, quelqu'un jouait du violon, une mélodie plutôt douce. En dehors de cela, l'endroit était plutôt silencieux, mais ce calme fut troublé par une bruyante exclamation de mécontentement. Haru était trop loin pour en distinguer les mots exacts. En revanche, la voix l'interpella. Elle lui semblait un peu trop familière pour être celle d'un inconnu. Mais la personne à qui elle aurait pu appartenir était vivante, il en était sûr. Il l'avait vu quelques jours seulement avant sa mort, et cette dernière ne remontait qu'au mois de janvier. Il ne pouvait tout de même pas être mort entre temps, si ?

Laissant de côté la libellule, le nécromancien se redressa. Il devait en avoir le cœur net. Il chercha des yeux l'origine de la voix, et finir par la trouver. L'individu a qui elle appartenait avait une drôle d'allure. "Un cosplayer," pensa Haru, et son cœur fit un bond dans sa poitrine. L'autre était de dos, impossible de voir son visage. Il s'approcha et, retenant son souffle, il tapota l'épaule de l'inconnu pour attirer son attention. Se pouvait-il réellement que ce soit lui ?

Dès que le cosplayer se retourna, Haru sut qu'il ne s'était pas trompé. Peu importe à quel point ce déguisement était réaliste, ce n'était pas ça qui allait l'empêcher de reconnaître son meilleur ami. Les traits de son visage étaient trop profondément gravés dans sa mémoire pour qu'il puisse les oublier, même s'il ne l'avait pas vu depuis près de six mois. Oui, c'était bel et bien Takuma qui se tenait en face de lui, souriant, et l'appelait par son prénom. Et s'il ne l'avait pas serré dans ses bras le premier, nul doute qu'Haru lui aurait sauté au cou. Il était si content de le voir qu'il eut un peu de mal à le lâcher pour le laisser s'écarter. Mais s'il avait encore eu un doute quant à l'identité de son interlocuteur, il se serait estompé lorsqu'il le vit signer. Apparemment, son ami n'avait pas beaucoup changé depuis la dernière fois qu'il l'avait vu. Un grand sourire illumina le visage du nécromancien.

— Takuma ! Toi aussi tu m'as manqué. Ça me fait tellement plaisir que tu sois là. Même si ça veut dire que toi aussi, tu es mort. Désolé...

Haru esquissa une petite grimace, qui laissa bien vite la place à une expression aussi rayonnante que le soleil qui brillait au-dessus de leur têtes. Maintenant, cette journée était vraiment belle, et pas seulement pour sa météo. Rien ne pourrait gâcher sa joie d'avoir retrouvé Takuma. Il avait des dizaines de questions à lui poser, et il commença par la plus logique.

— Comment tu t'es retrouvé ici ? Tu as traversé la route sans regarder ? Ou bien toi aussi, tu as essayé de te mettre à la cuisine ? 

Plaisanter sur sa propre mort ne dérangeait pas Haru. L'évènement en lui-même ne l'avait pas traumatisé outre mesure, il trouvait cela assez comique. Il s'en voulait seulement d'avoir laissé sa sœur toute seule. Mais après tout, c'était peut-être l'occasion d'avoir de ses nouvelles.

— Après que je sois mort, tu as vu Mei ? Elle va bien ?

Haru n'accorda pas la moindre attention au photographe qui s'en allait. Tout ce qui l'intéressait à cet instant, c'était Takuma. Ce dernier lui expliqua qu'il était devenu un vampire. Le brun haussa les sourcils en l'apprenant, un peu étonné. Il pensait que son ami n'avait pas du tout changé, mais apparemment, il s'était trompé. Mais après tout, lui aussi avait changé depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vus. Et ce n'était pas une paire de dents pointues ou un pouvoir qui allaient les empêcher de rester amis, il en avait la conviction. Quant à la proposition de Takuma d'aller rendre visite à sa sœur dans le monde des vivants, il y répondit par un signe de tête négatif.

— Si elle te voyait, elle serait terrifiée. Non, pas la peine de t'embêter. Mais merci de m'avoir donné de ses nouvelles. Je suis sûr qu'elle tient le coup. Elle est solide.

Elle l'était probablement plus que lui, en tout cas. Si les rôles avaient été inversés, si c'était Mei qui avait perdu la vie quelques mois plus tôt, Haru ne pensait pas qu'il aurait pu le supporter. Mais ce n'était pas le moment de penser à cela. Il venait de retrouver son meilleur ami. Maintenant qu'il était là, tout allait bien. Il ne lui manquait plus rien. Impulsivement, il le serra dans ses bras. Ils s'étaient lâchés à peine une minute plus tôt, mais le nécromancien n'avait pas pu s'en empêcher. Il n'avait pas vraiment réalisé durant ces longs mois à quel point son meilleur ami lui avait manqué. Et maintenant, il pouvait le toucher, sentir son odeur. Il avait les larmes aux yeux lorsqu'il s'écarta.

— Alors, qu'est-ce que tu as fait de beau depuis que tu es là ? Tu dessines toujours ? Raconte-moi tout ! demanda-t-il en lui adressant un large sourire.

Haru ne fut pas surpris d'apprendre que son ami dessinait toujours. Le contraire l'aurait étonné, car le Takuma qu'il connaissait n'aurait jamais abandonné quelque chose qui comptait autant pour lui. Il était ravi d'apprendre que cette facette de cette personnalité n'avait pas changé. Tout semblait aller bien pour lui, c'était rassurant. Le nécromancien sourit à la supposition de Takuma à propos de ses occupations. Il le connaissait vraiment bien.

— T'as tout juste ! Je me suis baladé un peu partout, mais c'est grand, Tokyo, j'ai encore pleins de trucs à voir. Et puis j'ai rencontré une ou deux personnes...

Il se rappela de cette journée qui lui paraissait si lointaine, bien qu'elle ne remonte qu'à quelques mois. Cette journée où il s'était perdu et avait demandé son chemin à un jeune garçon inconnu. Un garçon qui avait fini par occuper une place importante dans son cœur... Mais ce n'était pas le moment de penser à Asuma, il devait profiter du moment présent. Il venait de retrouver son meilleur ami. Rien d'autre ne comptait pour l'instant.

— Je parie que tu te fais harceler par des fans jour et nuit !

Haru éclata de rire, si joyeusement qu'il s'attira quelques regards étonnés de la part des passants. Ou bien peut-être était-ce l'étrange accoutrement de Takuma qui les interloquaient, à moins que ce ne soit le duo singulier qu'ils formaient. Mais le brun ne faisait pas attention aux paires d'yeux curieux qui les observaient, trop occupé à signer à l'intention de son ami.

— Il m'est aussi arrivé quelque chose d'un peu bizarre : je suis devenu un nécromancien, un fantôme avec un pouvoir. Un peu comme si j'étais le héros d'un manga... sauf que c'est réel et beaucoup moins marrant.