La pupille n’est pas dilatée, le réflexe photomoteur est bon. En connaissant le lieu où l'homme a trouvé mon petit patient, c'est plutôt rassurant : j'ai au moins la certitude qu'il n'a ingéré aucun poison. Son poil n'est pas souillé hormis par le sang s'écoulant de sa blessure. L'animal s'est probablement perdu en zone urbaine, et la blessure est récente. Les pronostiques jouent en sa faveur.
Ce premier examen préliminaire terminé, mes mains font gentiment basculer la tête du regard. Je palpe sa mâchoire, les glandes de son cou, et descend progressivement jusqu'au flanc où le sang continue de suinter. Il me laisse faire, jusqu'à ce que mes doigts parviennent à l'estafilade. Je le sens grogner sous ma paume, mais par un réflexe né d'une longue habitude, ma main s'est décalée pour l'empêcher de bouger.
Au tour de mes yeux de travailler, alors que mes doigts décapuchonnent l'aiguille qui me permettra de lui faire une petite injection. Il doit rester calme pour me permettre de lui venir en aide. Je fais vite. Le mélange est déjà prêt. L'animal couine quand l'aiguille pénètre sa chair. Oubliant que je ne suis pas seul, mes lèvres s'entrouvrent sur un murmure.
Là, là... Tu auras bientôt beaucoup moins mal.
Mentalement, je prends note d'un détail dont le maître inopportun semble lui-même se soucier comme d'une guigne. puisqu'il passe outre, il sera temps d'y revenir plus tard. En revanche je butte sur la langue. Le jargon médical qui me vient naturellement est français. De manière générale je peine encore à parler japonais. Cela ne vient pas naturellement mais je m'y efforce. Je masse délicatement l'emplacement de l'injection, tout en expliquant mon geste. Un peu de vulgarisation.
Il s'agit d'un tranquillisant associé à un anesthésique local. Je vais devoir le recoudre, mais cela ne devrait pas nécessiter de l'endormir complètement.
Et si le besoin se fait sentir malgré tout, la prémédication est ainsi déjà faite. Je n'attends plus longtemps pour nettoyer la plaie. D'après mes observations, c'est une longue entaille. Impressionnante, mais elle n'est profonde que sur quelques centimètres. Cela m'impose tout de même une certaine prudence, afin de vérifier que le péritoine n'ait pas été touché. Je profite de ce moment pour répondre à la question de l'homme inquiet. Il y avait un sous-entendu dans sa voix, et je ne souhaite pas qu'il se fasse de fausses idées.
Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une malversation humaine.
Mes doigts changent de compresse, faisant relever la tête au renard, un court instant. Cela me fait sourire.
Eh oui, c'est froid.
Attendri, je lui flatte légèrement la tête. Mais il reste calme, ne bronche pas. Tranquille. La vétédine mousse au contact du sang, mais même un néophyte devrait être désormais capable de voir ce qui a permis mon diagnostique.
Voyez, la plaie est nette, mais le tracé est malgré tout irrégulier. Il a dû se frotter de trop près à un morceau de métal. Un morceau de carrosserie, peut-être.
Mes doigts sont rouges. Autant du sang de l'animal que du produit nettoyant, que la coloration diluait. Bien trop tard pour mettre des gants. L'hémorragie était superficielle, et s'est arrêté. J'assèche la zone à opérer. Je palpe légèrement les contours de la blessure. Tiens, depuis quand ai-je froncé les sourcils ? Je souffle légèrement et me détends. Ce n'est pas si grave. Rapidement, je vais me laver les mains. Le contact du savon aseptique est désagréable, mais je frotte vigoureusement quand même. Le rouge s'efface un peu dans l'évier.
Un masque vient couvrir mon nez. Il estompe l'odeur du sang, mais je n'en sens que plus la finesse du fil et de l'aiguille courbe lorsque mes doigts les plongent dans un bain désinfectant. Le renard respire sereinement, immobile.
Vient alors la question de l'homme, qui ne m'a pas quitté des yeux, accroché à mes moindres faits et gestes. A son comportement, je pourrais presque croire qu'il ne s'agit en rien d'un animal sauvage. Mais son investissement est totalement désintéressé, et je respecte cela. Par égard pour sa sensibilité, j'essaie d'y mettre les formes.
Pas dans l'immédiat. Il aura besoin d'une longue convalescence. Il faudra que je retire les sutures, avant de m'assurer d'un bon état général pour envisager de le relâcher.
Mes yeux sont plissés sur un sourire qui se veut rassurant, à défaut de le voir sous le masque. Méticuleusement, je joins les lèvres de la plaie pour commencer un travail de fourmi.
Je vais procéder aux soins quotidiens, et il n'est pas rare que durant cette période l'animal s'habitue à l'homme.
J'entame la partie la plus délicate, au dessus d'un muscle transverse fragilisé. Chaque geste est précis, mes doigts se délient naturellement, sans un faux mouvement. J'y reste attentif. Pendant cette période, je me tais, et ma pensée reste en suspens. L'habituation n'est pas une bonne chose pour un retour à l'état sauvage. Ni pour éviter ce genre de mésaventure. Mais je ne peux deviner la pensée profonde de mon interlocuteur. J'agis dans l'urgence, le reste relève du détail. Je sens son regard, presque critique. J'espère qu'il apprécie ce qu'il voit.