« Espoirs désespérés. » ϟϟ Luka Coldwell • Clos

Parfois, Luka se demande ce qu’il fait dans un terrier pareil. Les souterrains ne sont ils pas les repères des rats ? Lui n’en n’est pas un. Non, il est bien plus que cela. Il devrait rayonner, observer constamment le haut depuis un perchoir si haut qu’il en oublierait qu’il est réel. N’est-ce pas ce que les plus puissants font ? Prendre des décisions pour un monde qu’ils ne connaissent plus.

Mais le rouquin doit se contenter d’observer les rues de Tokyo depuis son bel appartement, pour revenir à la violente réalité quand il redevient l’oiseau de nuit. Quel drôle d’ange, un jeune homme si beau et pourtant dirigeant tant de magouilles. Et comme souvent, le lémure est assit sur cette banquette un peu trop confortable pour que ce soit par pure volonté. La salle est grande, la musique qui y résonne est celle d’un groupe d’idol underground. Quatre jeunes femmes chantent et font du growl dans un mélange effrayament mignon. Le public acclame et saute, la salle est ettoufante de monde, de fumée, d’odeurs en tout genre.

Et au-dessus d’eux, de son petit perchoir, notre phoenix bois un cocktail à la paille. C’est raffiné, c’est doux. La terrasse n’est ouverte qu’à quelques personnes. Ils ont tous une plume tatouée sur la main en signe distinctif. Et surtout, ils ont tous des airs trop sérieux pour une salle de concert d’idols. Un homme portant des bagues à chaque doigt agitte les bras vivement alors qu’il parle à l’ange qui le juge de ses yeux magnifiques. Quand le bourru termine sa comptine, Luka pose son verre sur la table entre eux, le petit doigt relevé. Ses yeux valse jusqu’à un des plumés, et l’homme est relevé par l’arrière du col pour être emmené dehors.

Luka souffle, un autre connard pensant pouvoir l’entuber. Il devait vraiment tout leur apprendre. Son visage ne dépeint pourtant pas de colère, il sort une pipe qu’il allume lui-même.

La musique s’arrête, et cette nouvelle tête parle alors que le plumé fini de jeter l’autre. L’oisillon a de nombreux piercings aux oreilles, les cheveux violets, et un costume simple. Il s’approche de l’inconnu.

“Ça dépend ce que tu cherches.”

Icare le sait, Luka aime les hommes désespérés. Celui-ci pourrait peut-être lui plaire ? Et si ça plaisait au patron, il serait bien récompensé.

On se croirait dans un vieux film, oui. Luka souffle une fumée désagréable, perdu un instant dans ses pensées. Ses cils entourent les belles prunelles bleues qui se posent sur Icare accompagné…d’une tête familière. Que fait-il ici ? Le roux s’était dit lors de leur première rencontre qu’il n’avait pas une tête de civil, mais de là à le retrouver devant lui… Il l’écoute parler en observant le violet lui lançant un regard dépité. Ce dernier hausse les épaules. Luka pose sa pipe sur un support puis croise les jambes.

Ils dénotent, ça c’est sûr.

"J’apprécie me trouver là où l’on ne m’attend pas."

Il plaisante, lui lançant un sourire de ses dents détartrées récemment. Cet homme est un impatient, le vieil homme le sentait. Il va devoir s’armer de patience avec cette eau bouillante. Pendant que l’autre parle, Luka lui fait signe des mains de s'asseoir, et commande deux cocktails. Il choisit pour lui.

"J’ai pas mal d’informations. Demande-moi, je te dirais ce que je sais."

Il lève les yeux sur son interlocuteur. Le roux essaye de le lire. A quel point en a-t-il besoin ? A quel point est-ce urgent ? A quel point est-il désespéré ? Mais avant tout, et surtout : qu’est-ce qu’il va bien pouvoir lui demander en échange ? Notre lémure pense à tout cela en jouant avec son pendentif…

Icare avait raison, le roux sourit trop : il aime les âmes fatiguées.

Luka prend en bouche la paille en métal du verre qu’on lui sert. Ça a bon goût, celui des fruits de la passion. Il aime beaucoup les fruits, Luka. Il aime moins la sensation du métal sur ses lèvres. Il n’arrive pas à comprendre le principe de faire des pailles avec une telle matière. Ces jeunes et leurs idées bizarres…

L’homme face à lui parle tandis que le roux, la paille en bouche, l’observe. Ses prunelles toujours décorées par ces longs cils. Il le sonde, il l’analyse comme un rat de laboratoire ou une poésie. Il l’écoute, puis pose sa boisson tandis qu’il avale une gorgée. C’est un nécromancien au bord de la rupture. Quel genre de pouvoir cet homme peut-il avoir pour vouloir s’en débarrasser avec tant d’impatience ? Est-ce un faible ayant juste peur de ses pouvoirs ? Ou se sentant ridicule ? Luka est fasciné par ceux ayant eu la chance d’être dotés de capacités surnaturelles. Il aimerait un pouvoir, mais il n’est pas stupide : cela ne doit pas être de tout repos. En l'occurrence, ce gars, face à lui, est désespéré.

Ses jambes se décroisent alors qu’il joint ses mains entre elles. Il réfléchit souvent dans cette posture. Il creuse vraiment sa mémoire pour se souvenir des possibilités. Le gars lui parle déjà des potions, il sait de quoi il parle, il a déjà fait des recherches. Luka sait que cet homme cherche depuis un bon moment, il ne se fera pas rouler. Mais surtout, est-ce vraiment dans son intérêt de l'arnaquer ? Non. Un nécromancien, c’est aux yeux de Luka d’office un potentiel ami - un potentiel pion. Une marche pour devenir plus puissant et toucher du bout du doigt le soleil.

C’est décidé, Luka l’aiderait comme il pourrait. Enfin, pas gratuitement cela dit. Il prend le cocktail de celui en face pour le boire.

“Aucune potion de ce genre n’existe. Tu es bien renseigné.”

Ca doit piquer, ça doit lui faire mal, mais c’est la vérité. Luka n’est pas là pour jouer les psychologues. Surtout dans un tel lieu, il ne va pas feindre le doux agneau. Son regard est ferme alors qu’il fini le verre.

“Il n’y a aucune solution définitive que je connaisse, mais je peux me renseigner plus en profondeur pour une connaissance.”

Il sourit, remettant une mèche rousse derrière son oreilles. Ses cheveux sont si chauds et doux, ils contrastent tant avec son regard vide.

“Mais il y a … un objet dont j’ai entendu parlé, qui pourrait te soulager. L’effet est temporaire, mais tu peux l’utiliser autant que tu veux. Quand tu en auras besoin.”

Luka n’en dit pas trop, il embelli peut-être un peu la chose. En fait, il réfléchit à la suite. A quoi pourrait lui servir ce brun si il marche ? Quel est ce pouvoir si horrible qui semble le détruire de l’intérieur ?

“Je peux te dénicher ça, en attendant, si ça t’intéresse. Et si tu es prêt à me rendre la pareille quand je te le demanderais.”

Luka sourit, ses lèvres pâles s’étirent vers le haut, elles laissent apparaître des petites fossettes alors que le roux fixe l’autre. Qui aurait crû qu’un homme pareil pourrait être si pathétique ? Pas le lémure, qui le détaille de ses prunelles en joignant ses mains entre elles. Il attend, il le décrypte. Ses cils couvrent parfois son regard dérangeant, alors que le brun parle. Oh, que Luka aime cette sensation. La puissance, la position de force. Quand était-ce ? La dernière fois qu’il a été pathétique comme cet homme ? Cette sensation de faiblesse, cette fatigue, cette envie de se laisser couler…c’est certainement car le roux les connait mieux que quiconque qu’il sait tant en tirer profit.

Mais Luka n’est plus ce petit oiseau à l’aile atrophiée. Il dévore les proies. Il se nourrit de ceux qui appellent à l’aide. Il leur envoie avec joie une bouée. Mais une bouée reste une bouée. Elles sont fragiles et se dégonflent avec le temps.

Il ne répond pas à la première question de l’âme égarée. Il le fait exprès, il jubile. Il assiste en spectateur ébloui à cette façon qu’il a de se débattre pour revenir à la surface. Cet homme est un oursin au fond de la mer. Il se protège avec ces conditions, mais cela ne semble pas tant gêner le roux. Un accord sans conditions des deux côtés semble trop injuste. Il faut toujours laisser croire à celui qui signe que c’est une bonne affaire.

Les nécromanciens, par leur essence, sont des associés.

"Ne t’en fais pas, je sais faire des concessions pour des amis de beuverie."

Luka rit, il veut le mettre en confiance le plus possible. Il a compris, il a compris grâce à ses paroles que son pouvoir est puissant. Son pouvoir peut être utile, et sûrement dangereux. Cet homme face à lui pourrait bien être un typhon, mais surtout une opportunité à saisir. Et le roux est bien décidé à en faire un allié de confiance. Il faut qu’il ait une dette envers lui. Et tel le petit démon qu’il est, notre pas si jeune lémure est prêt à lui prouver mille fois sa bonne volonté.

Il penche la tête.

"Puisque tu es nécromancien, je te propose un accord sur le long terme."

Sa tête revient bien droite sur ses épaules alors que ses yeux bleus fixent ceux sombres en face. Son regard, toujours ce regard.

"Je peux te trouver une flûte qui fera disparaître ton pouvoir un certain temps, lorsque tu en joueras une note. D’après ce que je sais, tu peux en faire usage autant que tu le souhaites, et l’effet est immédiat."

Il reprend le verre en main pour jouer avec le fond, son visage d’ange impassible.

"Et, comme je t’apprécie, j’enverrais aussi quelques amis discuter avec de vieux nécromanciens quant à d'autres potentielles solutions." Il finit le verre. "Je te dirais tout ce que je sais, au moment où je le sais."

Il pose ensuite le contenant vide face à Issui, la belle métaphore.

"En échange, je veux que tu m’approvisionne en potions quand j’en ai besoin."

Il lui tend la main.

"Quelques potions, contre une berceuse pour ces yeux fatigués que tu as."

Impossible ? Luka cligne des yeux sous la stupéfaction. Au bout de quelques secondes, une fois la stupéfaction passée, il baisse sa main d’un geste lent. Il est comme cela, ce lémure, un ruisseau doux et calme, dont le bruit apaise. Il agit toujours en silence, en quelques mouvements gracieux et contrôlés. Il écoute l’autre spectre sans piper un mot. Et bien vite, le rouquin comprend le souci. Il a en fait rarement croisé de nécromancien ne profitant pas de ce don pour en faire quelques breuvages magiques. Encore une fois, le brun lui fait hausser les sourcils. Il ne veut ni mettre son pouvoir à son service, ni ce qui fait que Luka pourrait avoir une once d’envie d’en faire un ami.

Eh. Il ne sert à rien.

Et les êtres inutiles, il s’en cogne.

En fait, cet homme commence à lui courir sur le haricot. Luka n’aime pas cette manière qu’il a de le prendre de haut comme s’il était ignorant. Il déteste qu’on le regarde ainsi. Et surtout, cela l’agace particulièrement que cet être pathétique n’utilise pas son don à bon escient. Son air disparaît le temps d’un instant. Ses paupières battent une demi seconde, puis ses prunelles se posent sur Icare. Le violet avale sa salive et détourne le visage. Il connaît ce regard, ils connaissent tous ce regard. Ce n’'est jamais bon d’être proche de Luka quand il atteint sa limite. Patient, si habitué à cacher ses émotions, qu’on a difficilement l’occasion de l’agacer…Mais pas si on le prend de haut. Pas si on lui fait perdre son temps.

Alors qu’Icare commence à faire un pas en avant pour amener le brun à la sortie, ce dernier reprend la parole…Luka lève alors une main pour l’arrêter. Hm, il se penche pour reprendre sa pipe qu’il porte à sa bouche. Soufflant un peu de fumée, pour se détendre. A vrai dire, il n’est plus certain de vouloir en faire un ami ou même être généreux dans leur accord. Le lémure a pourtant pour habitude de faire les plus belles faveurs aux nécromanciens….Mais celui-là est probablement le plus inutile de tous. En plus d’être un con.

“Pour répondre à ta rhétorique, tu as toi-même dit que tu avais besoin d’informations peu répandues. Cela ne signifiait pas que tu étais un ignorant dans le domaine qui est le tien.”


Sa pipe en bouche, reprenant son calme. Enfin, seulement en apparence.

“Les nécromanciens, enfin ceux que j’ai pu connaître, avaient tous leur spécialité…entre autres.”

Luka pose ensuite l’objet empoisonné, avant de se saisir de la carte du bar pour commander une boisson chaude. De quoi le détendre.

“Mon appréciation n’est pas aveugle. Je ne t’aide pas si tu ne m'aides pas, je ne suis pas ton ange gardien.” Il jette la carte d’un mouvement vif sur la table.

“Je veux des potions d’intangibilité. Pas de potions, pas de mélodie salvatrice.”

Son regard est devenu froid, et son sourire a disparu. Par essence, les nécromanciens sont ses amis, mais pas les faibles. Pas les reflets de son passé. Demeure toujours la possibilité de le faire payer tous les mois pour pouvoir garder l’instrument. Luka l'aurait d’ailleurs sûrement proposé si l’autre avait été plus sympathique. Mais à présent, il a surtout envie lui montrer qui est en droit de juger et jauger l’autre.  

On leur apporte le café commandé par le roux. Il prend la tasse en main, levant le petit doigt.