You know nothing - Ft. Céleste

C'est beaucoup à absorber en même temps. Probablement trop en une seule soirée – ou même en une seule audience minutée avec le Roi. Ça explique, certainement, toutes les lacunes dans sa compréhension du monde. Ça, et le fait que tout est si nouveau, si étrange. Elle a vécu dix-neuf années confiante en la nature du monde et de la mort. Puis tout est faux. T o u t. Ça vaut bien une ou deux larmes.

Elle sent la main de Céleste entre ses omoplates. Le contact l'apaise, l'aide à contrôler ses hoquets. Quand elle se redresse, elle renifle et offre un sourire pincé à Céleste. Ouais. De grandes questions à répondre seule et qui ne se dénoueront pas ce soir. Un gros soupir l'empare. Elle dépose sa tête entre ses mains coudes appuyés sur le comptoir. Elle laisse son regard se perdre dans le vague un instant quand une nouvelle question de Céleste la ramène sur terre.

« Quoi ? »

Elle pense n'avoir pas bien compris. Mais le temps de poser la question, son cerveau traite adéquatement l'information et y voit un doute raisonnable. Et si elle était une vampire ?

« N-non je crois pas… J'ai pas été mordue, enfin, je pense pas. Je dansais et… »

Sa gorge se contracte soudainement. Tout son corps se contracte et son cœur s'accélère.

Elle ne souhaite vraiment pas se remémorer ce dernier instant.

Terri demeure silencieuse pendant que Céleste parle. Elle absorbe l'information, figure sombre et en pensive. Non, tout ça ne l'aide pas réellement. Mais elle ne peut s'empêcher d'assimiler des discours entendus et réentendus. Prends sur toi. C'est pas la fin du monde. C'est pas si grave. Tu as toujours été trop dramatique.

Quelque chose se referme chez elle. Mare des larmes, mare de s'exposer de la sorte. Quel pauvre spectacle elle fait d'elle-même. Elle termine son verre de jus à contre-cœur, trop consciente à quel point cela fait enfantin.

Grandir. Prendre sur soi. Être un modèle.

« Oui, je comprends. »

Il y a des gens qui ont eu des morts plus atroces que la sienne, de quoi se plaint-elle ? L'essentiel lui échappe : elle n'est pas seule. Elle entend plutôt qu'elle n'a pas à attirer l'attention sur elle et ses malheurs. Qu'elle se range dans les rangs. Qu'elle ne fasse pas de vague.

« Merci, je vais garder tout ça en tête. »

Un sourire un peu triste adressé à Céleste.
Elle sera forte.

Terri hoche doucement la tête, le regard dans le vide. Oui, elle se rappelle avoir vu des affiches à l'agence, elle croit. La Camarilla c'est ça ? Ça pourrait être un point de départ. Une manière de se retrouver au milieu de tout ce dédale. Elle ne demande pas confirmation (elle aurait probablement dû), se disant bien que Céleste n'est pas la personne pour la guider réellement. Elle l'admet bien, elle n'a pas l'habitude.

Sa résolution la solidifie. Ça va aller. Elle a une marche à suivre maintenant. Et un changement assez brusque de sujet. Elle reconnait l'effort déployé pour changer l'ambiance. Elle est reconnaissante.

« J'étais étudiante en communication. Je faisais de la danse, mais… »

Mais elle ne croit pas être en mesure de reprendre de sitôt. Sa phrase traine, son cerveau se vide et elle doit se confronter à une dure réalité : des hobbys ? Quels hobbys ? Toute sa vie c'était l'école, les ami-e-s et la danse. Il faudra probablement revoir ses occupations pour éviter de passer toutes ses journées enfermée dans sa chambre.

« Du tir… ? Je sais pas… Y'a pas quelque chose de plus tranquille ? »

Il va falloir faire preuve d'un peu d'ouverture d'esprit, elle le sent.

Un sourcil se hausse dans les airs. Terri bug une seconde. Elle ne s'attendait pas à être questionnée sur ses études. Plus exactement : elle ne pensait pas qu'elle aurait à expliquer. Tout le monde sait approximativement c'est quoi le domaine et ça n'érige pas de grandes curiosités. Surtout par chez quelqu'un comme Céleste. Elle est flouée.

« Oh, ben, tout se passe vraiment sur les réseaux sociaux maintenant, pour aller chercher un public plus large. Et sur les téléphones. Donc ça passe par les apps comme Tiktok, instagram… »

Elle regarde la vampire, incertaine si elle a su répondre réellement à ses questions. Les « nouvelles technologies », c'est tellement relatif. Mais elle doit pouvoir la comprendre, right ? De toute façon, l'enjeu n'est pas là. Ce sont les passe-temps, perdus, qui reviennent au centre de la conversation. À la mention de la danse, Terri ne peut que servir un sourire pincé et baisser la tête. Elle n'est pas sûre qu'elle pourra s'y remettre. Quelque chose fige encore chez elle. Le tir à l'arc en revanche… Ça lui rappelle quelque chose de son enfance, les fantaisies et les jeux de rôle avec les voisins, comment elle s'attribuait toujours la personnalité d'une belle guerrière elfique imbattable à l'arc. Elle sourit toute seule, vaguement perdue dans son souvenir avant de revenir sur terre.

« Les catacombes tu dis… » Un nom assez sombre pour une université – merci pour la précision – elle aurait classé le lieu comme dangereux. « Je vais sûrement passer voir. »

L'avenir se dessine doucement devant elle. Des possibles qui étaient auparavant inconcevables par l'état d'urgence qui la trahissait commence à se dessiner. Terri adresse un sourire timide à la vampire.

« Ça m'aide énormément, merci. »

Les décisions seront les siennes à prendre maintenant.

Le numéro de téléphone griffonné sur un papier. Terri le récupère et le range avec soin dans sa veste. C'est très gentil de la part de la vampire. Trop gentil, peut-être. Elle était sûre qu'elle la dérangeait et l'épuisait avec toutes ses émotions et ses questions. Il faut croire que même les gens les plus durs ont un cœur, parfois.

« Merci, pour tout. »

Elle se répète encore et encore mais aucun autre script ne lui vient en tête. Soudain, elle baille. Le temps file. Il est peut-être temps de rentrer à l'agence. Un regard par la fenêtre, elle voit l'édifice. Pas de chance de se tromper, cette fois.

« Je vais rentrer. Je crois que je reconnais mon chemin. »

Enfin, elle espère. Mais si elle crie assez fort on devrait venir à son secours, n'est-ce pas ?

Elle quitte le tabouret, se redresse sur ses jambes incertaines. Un dernier signe de la main adressé à Céleste en guise de salutation, et elle s'engouffre à l'extérieur, la tête plein d'idées et d'espoirs pour sa nouvelle vie.