You know nothing - Ft. Céleste

Terri ignore ce qu'il y a de plus horrible dans cette discussion : les meurtres confessés tout bonnement, ou la facilité de Céleste à changer de sujet. Bunbun, elle veut parler de Bunbun après avoir parlé de VIE ou de MORT ?!

Terri est sonnée, c'est le moins qu'on puisse dire. Mais elle prend sur elle – essaie. Elle voit bien qu'il n'y aura pas d'autres avenues d'interrogation possibles. Céleste ne fait pas les règles, elle obéit. Bien sûr. Ils sont sous une monarchie après tout. C'est donc le Roi le responsable de tout ça ? Quel tyran. Mais elle l'admet, ça pourrait causer énormément de problèmes si ça devait se savoir, mais est-ce que ce serait aussi pire que cela ? Dans sa tête, un débat sans fin se fomente. Il faut la sortir de là. Et Mr Bunbun est peut-être la porte qu'il lui faut.

« Ok… »

Encore incertaine de ce tournant, mais elle va le prendre. C'est étrange cette insistance de la part de Céleste, mais peut-être qu'elle veut juste éviter qu'elle se roule en boule au milieu du chemin, encore. Mains posées devant elle sur le comptoir, elle hésite – ses doigts tapent un rythme indéfini.

« C'était ma peluche depuis que je suis toute petite. Je l'ai toujours eu avec moi. Je l'ai même apporté avec moi au dortoir quand je suis partie au à l'université. »

Yeux levés au ciel, elle se remémore son doudou.

« C'était un lapin, beige. Sa fourrure est toute tapée maintenant, mais avant il était super doux. Il est un peu mou parce qu'il lui manque du rembourrage. »

Elle lance un regard interrogateur vers Céleste. Vraiment, ça l'intéresse ce genre de truc ? Est-ce qu'elle doit continuer à en parler ou… ?

Terri s'attend vraiment à ce que Céleste se moque. Elle ne le fait pas, à sa grande surprise. En fait, elle semble prendre l'affaire avec beaucoup de sérieux - peut-être plus de sérieux que Terri en aura jamais face à Mr Bunbun. Oui, son lapin lui manque et il l'a suivie partout dans sa vie… mais la mort est certainement gage de changement et de maturité. Il faut grandir, qu'on lui disait en riant.

Mais ce n'est pas ce que Céleste insinue. Du tout. Et si l'expression de Terri était déjà perplexe vu le changement de sujet, c'est la surprise – non, le choc – qui se dessine sur ses traits quand elle voit la vampire sortir un lapin en peluche de son sac.

Alors ça, elle ne s'y attendait pas. Mais pas du tout. Et elle ne sait pas quelle est la réaction appropriée à adopter. Alors elle garde les yeux de merlan frit, figée, jusqu'à ce que Céleste lui fasse une offre des plus inusitées.

« C'est vrai ?! »

Trop fort, elle reprend, en chuchotant :

« C'est vrai ? »

Elle a compris toute la gravité de la situation et de ce… commerce. Et son illégalité. Et immédiatement son cœur s'emballe. Elle ne devrait pas, ça ne devrait pas avoir lieu non.

« M-mais c'est pas correct… »

Les Lois au-dessus tout.

Une tête à mentir, ah, ça Terri n'en doute pas une seule seconde. Ça demande une certaine mesquinerie pour tenir ce genre de commerce, elle suppose. Ce qui la surprend – encore – c'est qu'elle qualifie la mort de Far West. Terri ne s'était pas sentie particulièrement en danger depuis son arrivée (enfin, ça ne l'a pas empêchée d'être angoissée et de refuser de sortir pendant un certain temps). S'il y a si peu de lois, si peu de surveillance, alors qu'est-ce qui lui dit qu'elle est vraiment en sécurité ? Elle sent sa gorge se serrer.

Alors elle est devant ce dilemme. Briser les quelques lois qui tiennent cette société (ou ce qu'il en est si elle prend au pied de la lettre le jugement de Céleste) ou se priver d'un énième plaisir. On voit presque perler sur son front une goutte de sueur. Pourquoi ne pas le faire si tout le monde le fait ? Est-ce que ça lui permettra de mieux s'intégrer ? UNE PELUCHE ?

« J-je sais pas… »

C'est beaucoup lui demander soudainement. Il lui semble que les conséquences sont astronomiques, qu'il ne suffit pas seulement de prétendre que la peluche est nouvelle. Ce serait mentir sur toute la ligne. Qu'est-ce que sa mère lui disait ? Ah oui, un petit mensonge en entraine forcément un plus gros et un autre. Ça lui fait mal, mais sa décision est prise.

« N-non merci. »

Avec la confiance d'un enfant qui refuse une cigarette dans un court métrage de sensibilisation à l'acting douteux. Elle expire – elle n'avait pas réalisé qu'elle retenait son souffle – avec l'impression qu'elle vient de passer à côté d'une catastrophe.

« C'est… mal. Je ne veux pas. »

Voilà. Retourner à ses principes moraux, c'est la valeur sûre, la seule boussole qui lui reste dans ce Far West infernal. Peut-être que l'enfer existe vraiment en fin de compte et que Céleste n'essaie que de la tenter pour la punir. Oui, ça lui semble l'explication la plus plausible – pauvre enfant.

La question de la moralité est différente ici, dit-elle. Ça sonne étrange aux oreilles de Terri. Inquiétant, même. Si les règles suivies sur Terre ne comptent plus, alors quoi c'est l'anarchie ? Mais non quand même pas, il y a la boolice… mais quand même la boolice brise les lois ???

Ah, elle commence à avoir mal à la tête à trop y réfléchir. Son visage est tendu par le malaise. Terri essaie de regarder ailleurs, de se concentrer sur son jus de pomme, par exemple alors que c'est tempête entre ses deux oreilles. Des questions, ça elle en a, c'est pas ça le problème. Mais avec ce que Céleste lui apprend, elle est en train de se demander si ce genre de question ne la mettrait pas en danger. La dame est déjà assez effrayante comme ça… et puis tant pis, elles sont là.

« Alors c'est quoi, on peut faire n'importe quoi et y'a rien pour nous… juger ? »

Oui, c'est difficile de se détacher de ses anciennes croyances. Surtout quand une part d'incertitude demeure.

« T'es sûre qu'on est pas dans un genre de purgatoire et que la tombée en poussière c'est la vraie mort ? »

C'est parti pour les considérations métaphysiques.

C'est froid et direct, mais cela a l'avantage de désamorcer la crise qui était en train de prendre racine dans la tête de Terri. Enfin, partiellement. Le regard vide, les doigts serrés autour de son verre, elle prend une énorme inspiration.

« Ok. D'accord. D'accord. »

Avancer. Ne pas pleurer.
Ben voilà. Elle ne pleure pas. C'est une victoire en soit.
Qui ne dure pas.

Ses lèvres tremblent. Elle s'effondre soudainement sur le comptoir du bar, tête entre les bras pour cacher les larmes qui débordent. Elle ne voulait vraiment pas se mettre à pleurer devant Céleste, mais on y est. C'est trop d'information, trop de nouveauté, trop d'incertitude. Ça dure quelques secondes avant qu'elle ne retrouve un calme relatif. La tête toujours cachée, elle parvient à balbutier :

« Mais comment je fais pour savoir qui est gentil ou méchant ? Et et si je suis une bonne personne ? »

Elle renifle, relève la tête et essuie ses larmes. Elle est ridicule à l'instant, elle en a bien conscience. Elle est un peu honte en plus de tout le reste.

« Aaah oublie ça, désolée. »

Elle va devoir trouver réponse à ses questions seule, elle a compris.