You couldn't find a better place

Quelle plaie. Toi qui, d'habitude, ne te plains jamais, toujours du côté de l'optimisme, tu as bien le droit de le dire cette fois : quelle plaie ! Tu faisais confiance à ton fournisseur de potions, mais il faut croire que, comme avec tous les nécromanciens, tu n'aurais pas dû. Vous lâcher, toi et ses autres clients (que tu sais nombreux), du jour au lendemain, pour partir en pèlerinage ! Bon, il faut admettre que tu en serais totalement capable, de ce genre de trahison. Tu connais mieux que quiconque l'instinct qui pousse à partir au plus loin, à tout lâcher sans donner de raison. La différence, c'est que toi, tu ne tiens pas de boutique. Tu ne sais pas faire de potions. Et personne ne dépend de toi comme tu dépendais de lui; tu y veilles bien.

Chercher un nouveau fournisseur, tu as l'habitude; c'est la partie désagréable de tes voyages, s'assurer de trouver quelqu'un de fiable à chaque nouvelle ville. C'a n'en devient pas moins humiliant, de devoir traverser les allées des nécromanciens. A chaque nouvelle destination, une personne de plus que tu mets au courant de ta vraie nature... une malédiction, une vraie.

Sorti.e de tes réflexions orageuses, tu t'arrêtes devant la boutique qu'on t'a recommandé. Attention au propriétaire, qu'on t'a même dit. Il peut être assez... particulier. Bien. Vous vous entendrez à merveille. C'est ce que tu te dis en poussant une longue et nerveuse inspiration, rassemblant tout ton courage. Par "particulier", ta connaissance voulait peut-être dire les corbeaux à l'entrée de la boutique. Mais il suffit d'un regard vers les autres magasins de l'allée pour comprendre que ça n'est pas si bizarre que ça. C'est juste les nécromanciens. Iels veulent toujours en faire trop.

Tu pousses la porte d'entrée. Un retentissement qui perturbe le calme absolu que tu découvres à l'intérieur. Pas d'autre client. Seule une autre personne à part toi : un européen en apparence, au style... bon, tu ne juges pas. C'est tout ce qu'il y a à dire.

Au comptoir, essayant de ne pas laisser entendre ton agacement, tu sors la routine :

- Il me faut des potions. Pour zombies. Peau, cheveux, odeur, tout ça. Vous avez ?

Sympa ça, la façon dont tu en oublies la politesse et les bonnes manières. En réalité, tu n'as rien contre ce nécromancien - après tout, ce n'est pas lui qui t'a gentiment doté de cette apparence d'omelette. Une fois qu'il t'aura fourni, tu seras sûrement plus agréable, plein de reconnaissance. Pour l'instant, tu espères juste ne pas subir de remarque désobligeante comme tu en as parfois entendu - "bah, fallait pas écouter le premier arnaqueur venu !". Et que ton portefeuille ne souffre pas trop comparé à l'ancien nécromancien, également. Si c'est raisonnable, peut-être même que tu feras le tour des étagères, en attendant ta commande. Qui sait, peut-être qu'une autre potion te fera de l'œil - tant que t'es là.

Un peu grotesque, la façon dont tu sursautes et fait un tour sur toi-même quand le corbeau te souhaite la bienvenue. Mais franchement, même pour toi, c'est trop bizarre comme façon d'accueillir la clientèle. Ta commande est même pas prête que le type a décidé de te faire un petit numéro ? En temps normal, ça te ferait rire. Pas quand ton secret menace d'être dévoilé à tout instant. Tu sens ta carapace s'effriter d'heure en heure, alors forcément, t'es sur les nerfs.

Tu ne dis rien. Tu écoutes son speech, récité comme s'il tenait la feuille sous les yeux. Tu te demandes un instant s'il peut s'agir d'un stagiaire, mais non, pas de doute, cet énergumène correspond bien à la description qu'on t'a fait du propriétaire. Au moins, jusqu'ici, c'est pro. Reste à voir si ses potions font effet. A ton avis, il préfèrerait sûrement passer son temps à inventer des potions bizarres en tout genre, plutôt qu'à soigner des zombies. Ca, encore une fois, c'est les nécromanciens. Tu n'en as jamais rencontré un qui avait la lumière à tous les étages.

Tu lâches un "Merci" à moitié convaincu avant de te retourner vers les étagères qu'il t'indique. Un, deux, trois flacons. Ton petit sac en papier kraft se remplit petit à petit. C'est un peu plus d'échantillons qu'avec ton ancien fournisseur, mais ça n'a rien d'étrange; certains se spécialisent en potions pour zombies, d'autres non. Tu reviens au comptoir, déposes tes courses en faisant peut-être un peu trop de bruit; tu le fais exprès, dans l'espoir d'attirer son attention. Qu'il fasse son travail correctement. Peut-être qu'une fois ses méthodes prouvées comme étant efficaces, tu voudras bien passer commande. Des potions aux effets plus durables, pour venir le moins possible dans cet endroit.

Tu ne parles jamais ainsi, d'habitude. Mais c'est pas une bonne journée, aujourd'hui, et ce vendeur n'a pas l'air de vouloir l'améliorer. Clairement, il s'en fiche. Ca donne envie de lui acheter des trucs, tiens.

- Dites, à quoi ça sert, les corbeaux ? A faire fuir la clientèle ?

Parce que vous en avez pas besoin, hein, l'établissement fait très bien le boulot tout seul, tu as envie d'ajouter. Mais ça serait trop insolent. Tu en as un peu l'air, parfois, mais tu n'es pas un adolescent qui aime provoquer les gens. Ce nécromancien ne le saura peut-être jamais, selon si tu reviendras le voir pour tes potions, mais tu es une bonne poire, au fond. Et surtout, tu restes curieux.se.

Tu n'aimes pas trop les préjugés, mais les nécromanciens (en tout cas, ceux que tu as connu) sont quand même de sacrés nerds. Celui-là n'a pas l'air d'y faire exception.

"Entre autres, si nécessaire" ça peut pas être tout, comme justification ! Mais monsieur a l'air bien concentré sur sa préparation - tu t'élèves discrètement sur la pointe des pieds pour regarder ce qu'il peut bien fabriquer avec ces ingrédients. Ca t'est étranger, cet univers des potions et de leur fabrication, et c'est sûrement pour le mieux. Pour le bien de tout le monde, n'essaie jamais de t'y mettre - l'univers a déjà été bien intelligent de ne pas te doter d'un pouvoir. Tu te demandes quel pourrait bien être le sien, d'ailleurs - communiquer avec les corbeaux est la première chose qui te vient à l'esprit. Peut-être un peu trop évident. Sûr que c'est un truc super spécifique, du genre supprimer les publicités sur internet sans avoir besoin d'un bloqueur. Les pouvoirs les plus surprenants, tes préférés.

Quand il se retourne vers toi pour enfin faire son travail de commerçant - tout ton respect aux commerçant.e.s bien sûr, pas le plus évident des boulots, tu en sais quelque chose - tu te redresses pour effacer toute suspicion. Toi, une petite fouine ? Enfin. Soyons sérieux.

Tu le regardes scanner tes fioles, soulagée que cette petite excursion d'urgence soit bientôt terminée. Tu te dis que tu penseras bien à finir le stock de potions qu'il te restait avant d'entamer le nouveau... quand un mouvement brusque devant toi te ramène sur terre. Tout à coup, le type a l'air super excité de te voir. Quoi, t'as gagné un truc, t'es le millième client de la boutique, c'est ça ? Tu comprends pas trop ce qu'il se passe, jusqu'à ce qu'il prononce le mot "Bootube".

Enfin, on parle ta langue !

- OUI ! ça sort tout seul, plus fort que tu ne l'espérais. Foulques, sur Bootube, c'est moi ! Et dans la vraie vie, aussi, haha.

Faut dire que tu ne t'attendais pas à être reconnu.e en allant acheter tes précieuses potions, mais le fait que ça arrive te fait plaisir nonobstant. La notoriété, ça te fait un truc, c'est pas nouveau. Tu te retiens de demander avec humour si ça te fait une réduction, du coup. Comme tu n'as pas l'habitude, tu restes là, avec ton grand sourire béat, à te demander la chose suivante : qu'est-ce qu'on est censé faire, quand on est célèbre ?

"Foulques, le vloggeur voyage", des mots que tu répètes presque quotidiennement, en introduction de tes vidéo ou en rencontrant de nouvelles têtes; mais quel bonheur de les entendre de la bouche de quelqu'un d'autre ! Maintenant que la conversation a pris un tout autre tournant, ton regard n'est plus morne, et tu sais enfin te tenir droit.e. Ca va faire un peu bizarre, dorénavant, d'aller chercher tes potions chez un viewer - c'est un peu comme si ton médecin regardait ton contenu - mais tant qu'il ne pose pas trop de questions sur ton identité de zombie, tu te dis que ça devrait aller. Les aléas de la célébrité... ou de ce que tu en connais.

Tu t'apprêtes à lui demander depuis quand il te connaît, et comment il t'a découvert- mais ses mots, lorsqu'ils arrivent à tes oreilles, sonnent bien plus intéressants. "Prix d'ami", comment ne pas afficher ton plus beau sourire à cette proposition ? Tu n'es pas fauché, loin de là (merci à toutes tes anciennes vies), mais il faut dire que Bootube ne paie pas bien avec tes statistiques moyennes; et les potions, ça peut revenir à cher. Tu le couvres immédiatement de "merci, merci" - à la fois pour le prix et pour le fait qu'il t'aie reconnu. Même pas besoin de complimenter ton travail - une simple reconnaissance te suffit. Que dire de toi à cet instant, si ce n'est que ta journée est soudainement devenue cent fois meilleure ?

- Les complications de la vie, je pense qu'on les a tous.tes, haha ! tu paies vite avant qu'il ne revienne sur sa décision, mais la conversation, elle, peut encore durer des heures. J'essaie de me diversifier un peu, mais j'en sors une nouvelle très bientôt !

J'espère que tu regarderas, likeras, laisseras un commentaire, partageras à tes amis-

A défaut de déverser le flot de pensées qui te traverses l'esprit, tu lui dis au moins la vérité. Récemment, tu as rencontré une petite star locale, un nécromancien aux pouvoirs d'anti-gravité qui se sert de sa magie comme d'un outil pour les sports extrêmes, et bien d'autres. Il s'est déjà retrouvé, certes, dans quelques controverses, car on l'accuse souvent de tricher et d'avoir un avantage que les autres sportifs n'ont pas - mais tu es entré en contact avec lui, et il vous a emmenés dans ses activités décoiffantes, toi et ta petite GoPro. C'était aussi amusant que tu l'avais espéré, et la vidéo aura, tu l'espères, le succès qu'elle mérite.

- De passage ? Je pense pas ! tu lui réponds avec joie en saisissant le joli paquet contenant tes potions. J'étais pas sûre de l'ambiance, au début, mais au final, je crois que j'aime bien ! Dis, les corbeaux, ils savent faire des trucs ? J'ai une tortue, tu l'as peut-être vue dans mes vidéos, elle sait rentrer et sortir de sa carapace sur commande et-

A peine sur le point de t'emporter, toi. Suffit qu'il manifeste le moindre signe que ce que tu racontes l'intéresse, et tu seras lancé.e pour de bon. En même temps, Anatole la tortue, c'est vrai que c'est passionnant comme sujet. T'as plein de photos de lui sur ton téléphone, certaines où il fait des trucs marrants, d'autres où on le voit porter des costumes miniatures achetés sur Internet. Il a son propre univers, vraiment.

- Rah, pardon ! Tu dois avoir d'autres choses à faire que de m'écouter parler, tu t'excuses en te frappant le front. Tu t'appelles Basil, si je me souviens bien ?

Ton nouveau meilleur ami, sûrement contre son gré, mais ça, il ne le sait pas.

Plus tu en découvres sur ce Basil, plus tu retires ton jugement (qui était un peu abusif et stéréotypé, il faut l'avouer) pour te dire que, finalement, vous avez de bonnes chances de bien vous entendre, tous les deux ! C'est surtout parce que, pour l'instant, tu parviens un peu à te reconnaître dans ses manières et la façon qu'il a de s'exprimer. C'est familier, c'est un sentiment que tu ne croises pas souvent. Et ça fait un bien fou, de savoir qu'on est pas le seul weirdo du coin.

Tu étais déjà happé par la conversation, mais quand il fait venir un des corbeaux à lui, c'est l'émerveillement total. Tu ne peux t'empêcher de taper dans tes mains, sans même te demander si ça peut faire stresser l'oiseau, parce que ce genre de tour, inattendus mais spectaculaires, tu pourrais les regarder en boucle et tu ne t'en lasserais quand même pas. Les corbeaux, tu trouves ça un peu étrange comme bestioles (ils sont tellement intelligents qu'à tes yeux, ça en devient suspect), mais vu de près, il faut admettre que tu as devant toi un beau spécimen. Et puis, ils vont bien ensemble, lui et son propriétaire. Tellement que le mot "amis" serait peut-être plus approprié pour les décrire.

Et comme un parfait élève, tu écoutes. A première vue, du moins; la remarque sur les clients impolis te passe totalement au dessus de la tête, et ta seule réaction est de secouer la tête comme si tu comprenais complètement le tracas que c'est, de devoir gérer une clientèle tous les jours. Ca doit bien te dire quelques choses, de tes jours passés où tu travaillais dans divers bars, mais le souvenir est bien trop loin pour t'en préoccuper - alors, comme souvent, tu fais semblant. Mais le petit "wouah" que tu pousses alors que tu te retournes vers le deuxième corbeau quand vient son moment, il est sincère. Poussé par le petit enfant fasciné par les animaux en toi.

Ce que tu comprends de son explication, ça confirme tes doutes sur cette mystérieuse société des corvidés. Des animaux qui fonctionnent ainsi, c'est quand même du jamais vu ! Ca explique pourquoi, quand tu les regardes, tu ne sais jamais ce qu'ils pensent. Ca déclenche quelques petits frissons le long de ton dos : imagine si en fait, depuis le début, Wilhelm et Jacob jugent ton style vestimentaire ? C'est totalement possible, alors ça fait peur, quand même.

- C'est... tellement intéressant, je pensais pas ! J'adore les oiseaux, mais ces deux-là, ils ont l'air particuliers ! Enfin, tu dois jamais t'ennuyer, alors je comprends totalement. Leur manque plus que la parole, pas vrai ?

Tu aimerais tellement pouvoir parler à Anatole, parfois. Ca t'arrive de le regarder mâchouiller une feuille de chou (ou un jouet en caoutchouc, ça arrive) longuement, et d'espérer qu'il se mette à parler par magie, pour te remercier de ce merveilleux repas. C'est clair que si les animaux pouvaient parler, lui et les deux corbeaux de Basil ne diraient pas les mêmes choses... Mais tu peux t'entendre avec leur propriétaire, au moins. Est-ce que maintenant, c'est à ton tour de faire une tirade sur les tortues, ou un autre sujet intéressant ? Tu apprécies ce genre de conversation plus que tout, mais tu connais Basil depuis dix minutes à tout casser, et tu préférerais éviter une erreur fatale si tôt dans votre relation.

- Ca me fait penser qu'un de mes rêves pour ma chaîne, ça serait d'aller filmer chez un fauconnier ! Qu'iel me parlerait de son métier, qu'iel me fasse essayer ça serait encore mieux ! J'admire la capacité des gens à garder près d'eux des animaux qui peuvent s'envoler à n'importe quel instant. Moi, je panique si Anatole se cache sous un canapé, alors un corbeau ou un faucon, je sais pas si j'aurais les nerfs pour en avoir un... mais je suis heureux de faire leur connaissance !

Et pour prouver tes dires, tu fais coucou de la main aux deux volatiles. Tu n'oserais pas approcher trop près, quand même. Wilhelm semble avoir apprécié sa noix de cajou, tu aurais peur de te prendre un coup de bec si tu essayais de caresser son beau plumage ébène. Tu te contentes de sourire au nécromancien devant toi, qu'il comprenne bien que tu adorerais en savoir plus, juste parce que tu as du temps devant toi.