tw : meurtre, sang
Il est là, à l’observer. Accroupis, les coudes sur les genoux, le visage entre ses mains. Lui qui évite les regards, lui qui déteste regarder le fond de l’âme des gens cette fois-ci, il ne quitte les pupilles d’Avalon que lorsque ce dernier détourne le regard. Immobile comme une statue il en oublierait presque de respirer, rendant son souffle un peu rauque et sale. Il arrête de le presser, non, cette fois-ci il se contente d’attendre. Même s’il s’impatiente vite. Même s’il a envie de lui dire de se dépêcher. Il a envie de partir car la bête s’est réveillée et elle gronde, elle ronge, elle déchire le peu de conscience qui lui reste et s’il ne s’éloigne pas de cette ambiance de charnier il ne sait pas s’il sera encore capable de raison. Et c’est dangereux : pour lui, pour Avalon, pour cet hôpital. Tiraillé entre sa soif et sa peur de décevoir.
Avalon semble enfin se résoudre à se nourrir, juste sous son nez. Impossible pour lui de détourner les yeux alors que son estomac se retourne, comme dégoûté. C’est ça, en réalité, ça le dégoûte. Mais cette partie de lui l’oblige presque à maintenir le regard. Il lui faut un moment pour prendre conscience des larmes qui parcours le visage du vampire. Instantanément, Wynn semble mal à l’aise, suffisamment pour s’asseoir et quitter sa position inconfortable précédente. Il regarde les yeux, les larmes, puis la bouche qui plonge sur la victime qu’il lui a trouvé. Ses pupilles alternent entre chacun de ses éléments, comme une mécanique bien huilée, sans dire un mot. Pourquoi il pleure ? Pourquoi il semble subitement incapable de réfréner ses larmes ? Wynn ne comprend pas.
Il n’aime pas les gens qui pleurent. Il ne leur en veut pas, mais il ne sait juste jamais quoi dire, quoi faire. Comment réussir à comprendre ce qui peut les pousser à pleurer ? Il n’a pas non plus l’instinct de vouloir aider ou réconforter. Alors ça le dérange, ça le met mal à l’aise. Ça lui fait un peu peur, aussi. Les émotions lui font peur. Ne pas les saisir. Alors il se mure dans le silence encore un moment.
« Pourquoi ? Nous n'étions pas censés collaborer. J'aurais préféré tomber sur n'importe quel vampire autre que toi. J'ai été odieux du début à la fin, et toi...
Je ne sais pas. »La voix est toujours aussi grave, comme venant des profondeurs de l’âme de Wynn. Pourtant elle semble moins froide ; mais loin d’être chaleureuse pour autant. Il y a de nouveau un peu du Wynn paumé, du Wynn calme dans cette voix. Probablement parce qu’il se sent un peu confus, un peu désemparé face à la question d’Avalon et face à ses pleurs.
« Je ne te trouve pas odieux. Tu as juste l’air hypocrite. Et je n’aime pas les gens qui prennent de haut. »Il l’a assez vécu de son vivant, il n’en a pas besoin dans la mort. Il le laisse respirer, ne comprenant pas pourquoi il s’accroche autant à un cadavre comme à une bouée de sauvetage. Il ne s’échappera pas, plus maintenant. Alors que le silence s’installe de nouveau comme un invité indésiré, Wynn prend d’une main le poignet de sa victime -votre victime. Il le porte à ses lèvres mais le goût est vraiment trop mauvais et la douleur à l’estomac est instantanée. Vous n’avez pas le même groupe, il peut le confirmer. Il recracherait bien le sang qui inonde sa bouche mais la faim obscurcit encore son jugement et il déglutit, un air de dégoût passager sur le visage avant de redevenir inexpressif.
« Aucun mot sur ce qu'il s'est passé ici à personne d'autre, compris ?
Je ne vois pas à qui raconter tout ça, de toute manière. »Hormis son psychiatre. Et encore. Il ne sait pas comment lui annoncer qu’il est incapable de se refréner, de nouveau. Qu’il lui en faut manifestement plus et il ne sait pas combien de temps cela durera. Peut-être pour toujours. La Légende est encore bien trop présente pour qu’il puisse réellement avoir peur -ou culpabiliser. Ça le prendra sûrement demain, ou après-demain. Quand il ne s’y attendra plus. Quand cela le percutera de plein fouet et qu’il regrettera
tout de cette soirée. Le voilà qui, sans trop réfléchir, passe au-dessus du cadavre et tend sa veste à Avalon.
« Essuie tes larmes et le sang avec ça et jette là. On doit se faire discret. Allez. »Il se relève dans un même mouvement, aidant Avalon par la même occasion. Il n’a pas besoin que ses jambes le lâche, pas maintenant. Un rapide coup d’œil envers sa propre personne et il comprend qu’il ne passera pas inaperçu. Saisissant la veste de votre dernière victime, il l’enfile non sans faire une grimace, révulsé de porter les vêtements d’un autre. Un coup d’œil à son compagnon d’infortune et il semble toujours pleurer. Comme un réflexe, il lui saisit la main et le traîne derrière lui tel un enfant. Il se rappelle que son père faisait ça, plus jeune. Lorsqu’il pleurait, de peur de finir en Enfer. Il ne sait pas si cela aidera mais au moins, il n’a pas de risque de le perdre à travers les couloirs. Tête basse, hochement de tête discret lorsque qu’ils croisent des soignants.
L’air extérieur ne lui a jamais semblé aussi douce.