Through papers and light, it's where you lie ft. Abraham

Iel semble connaître. Les explications et la description que Guillaume lui fournit lae faire réagir. Une réaction légère, à son image, alors qu’il semble toujours aussi concentré à disposer le ruban parfaitement sur la couverture ouverte face à lui. Patiemment, le vieux poète attend que la phrase trouve sa fin, sa conclusion. Il n’est pas pressé, après tout il s’est engagé intérieurement à dépasser largement ses heures du moment où il a proposé à Abraham de lui tenir compagnie. Guillaume est curieux de connaître les motivations de son compère zombie : il n’est pas rare qu’il lae voit lire un peu de tout sans être n’importe quoi pour autant. Mais des contes populaires russes, cela l’intrigue.

« J’avais souvenir d’un… personnage, que j’essayais de retrouver. Un bonhomme de bois - ou des bois. Qui rend fou à vous courir autour.

Je dois l’avouer, cela ne me dit rien du tout. Mais si ça peut t’aider, je pourrais faire une recherche dans la base de données de la bibliothèque. Ou bien même une recherche en ligne. Enfin, j’imagine que cela retire une grande partie du plaisir de l’exploration, à toi de me dire. »

Ouvrant de nouveau le livre face à lui, Guillaume n’est pas forcément quelqu’un qui insiste ou force la main. Il préfère largement ouvrir une porte le temps que la personne choisisse de la franchir, de la lui claquer au nez ou tout simplement de fureter autour, mesurant le pour et le contre. Il sait également, au fond de lui, que cette proposition n’est pas totalement innocente ; son œil qui traîne voit parfaitement les gestes discrets d’Abraham qui se gratte la peau autour des ongles. Il n’a pas la prétention de comprendre tous les gestes dont iel peut faire preuve -sa mémoire n’étant pas extensive et capable à ce point, mais il ne peut que supposer que cette recherche l’obsède un peu.

« ... Je ne sais pas pourquoi je me souviens plus de lui que d’un autre.

C’est ce qui est formidable avec l’esprit humain, il est parfaitement capable de retenir des choses qui ne semblent pas faire sens et en oublier d’autre. Ou bien, tout simplement, tu as un lien inconscient avec ce personnage. Ou l’histoire. »

Léger haussement des épaules. Après avoir atteint le huitième livre réparé et vu le rythme d’Abraham, Guillaume considère qu’une pause pour se frotter légèrement les yeux s’imposent. Il retire ses lunettes avec douceur avant de les poser sur le bureau, se passant ses mains bien abîmées par l’âge et le travail sur son visage en soupirant légèrement. Lorsqu’il les reprend du bout des doigts pour les installer sur le bout de son nez, il remarque l’expression d’Abraham suite à sa réponse. Cela lui tire un rire léger, suivi d’un sourire -il s’attend déjà à la suite des événements.

« Pourquoi, ça t’intéresse d’y jeter un œil ?

Oui. »

Une réponse qui a le mérite d’être claire, honnête.

« Enfin, si c’est possible.

Bien sûr. »

D’un geste, il retrousse sa manche pour y regarder l’heure, indiqué sur une montre. Une montre simple, discrète, modeste. Il n’aime pas particulièrement devoir regarder systématiquement sur son téléphone pour connaître l’heure ou bien devoir chercher l’horloge la plus proche c’est pour cela que la solution d’une montre autour du poignet lui semble être un bon compromis. Il n’y tient pas particulièrement, si ce n’est que c’est son fils adoptif qui l’a aidé à la choisir ; il a bien plus de goût que lui en la matière.

« Eh bien vu l’heure, je te propose qu’on aille y faire un tour si cela te va. Ce n’est pas immense donc j’espère que tu ne seras pas trop déçu. Oh et ne t’en fais pas pour le bus, je doute que la météo se calmera et vu l’heure tu finiras forcément par rater le prochain. »

Il marque une pause avant de se lever, s’étirer légèrement et lui fait signe de le suivre tout en ouvrant la porte du bureau.

« Je te ramènerais. Laisse les livres dont tu t’es occupé en pile sur le côté, s’il te plaît. Au pire mes collègues finiront de s’en occuper demain … Après tout c’est aussi leur travail. »

Son sourire légèrement crispé veut tout dire ; c’est sa petite vengeance envers elleux pour ne pas avoir fait les tâches qu’il leur avait demandé.

“Je dois l’avouer, cela ne me dit rien du tout. Mais si ça peut t’aider, je pourrais faire une recherche dans la base de données de la bibliothèque. Ou bien même une recherche en ligne.”
Une grimace, légère, imperceptible.
Un nez qui se retrousse, des yeux qui se plissent.
“Enfin, j’imagine que cela retire une grande partie du plaisir de l’exploration, à toi de me dire.”
“Non, je. Je trouverai moi-même.”

Comme s’il n’avait pas l’envie que tu viennes dans cette partie de son existence, une existence d’enfant plus tant gamin, déjà lointaine selon les personnes à qui il parle, lointaine à ses yeux en tout cas. Lointaine et secrète, oui ses carnets sont ouverts à toutes personnes qui passent, mais écrit en arménien, peu de gens savent les déchiffrer.
Abraham en a parfaitement conscience.
Et ça l’arrange bien.

“Ou bien, tout simplement, tu as un lien inconscient avec ce personnage.”
Une nouvelle grimace.
Comme s’il retrouvait quelque chose de fortement déplaisant.

Mais qu’importe.
Là n’est plus la question pour le moment, non tout son esprit se concentre sur la présence de livres rares, anciens et précieux, une pure fabulation de curiosité, un quelque chose qui est purement intéressé par la beauté de l’objet plus que par son utilité pratique. Car ce n’est pas là le contenu qui l’intéresse, plus que l’objet livre en lui-même. Il veut voir des ouvrages qu’il considère beaux.

“Bien sûr.”
Il se bouffe l’intérieur de la lèvre.
“Eh bien vu l’heure, je te propose qu’on aille y faire un tour si cela te va. Ce n’est pas immense donc j’espère que tu ne seras pas trop déçu. Oh et ne t’en fais pas pour le bus, je doute que la météo se calmera et vu l’heure tu finiras forcément par rater le prochain.”
“Ah.” Ah. Un coup d’œil rapide sur l’heure - oui, c’est mort. “J’ai pas vu le temps passer.”
Comme une espèce de honte à avouer difficilement.

Obéissant de nouveau à tes directives, il laisse les ouvrages sur le côté, rangés soigneusement les uns sur les autres.

“Je te ramènerais.”
“Tu as une voiture ?”
Abby n’a jamais appris à conduire.
Et bizarrement, il pensait qu’au vu de ton âge - toi non plus.

Il se lève alors, fait craquer ses os, de tout son corps en angle droit. Ses ongles qui grattent ses paumes, et l’impatience à peine contenue dans le fond de ses yeux, contenue uniquement par le savoir-vivre - celui qu’il pense avoir difficilement intégré.

“C’est au sous-sol ? J’imagine.”
Les questions et les réponses en même temps, à la manière d’un gamin trop curieux.

« Non, je. Je trouverai moi-même.

Comme tu le souhaites. »

Un léger sourire, un geste de la main signifiant qu’il ne posera pas plus de questions et surtout qu’il n’insiste pas plus. Aucune frustration ou agacement ne transparaît dans sa voix et pour cause, il ne ressent ni l’un ni l’autre ; loin de lui l’idée de se vexer ou s’énerver face à quelqu’un qui refuse -poliment en plus, son aide. Il peut comprendre l’envie de chercher par soi-même, ce ravissement de trouver enfin la réponse à une question qui fait languir depuis bien des jours, voir des semaines et même pour certain·e·s des mois. Et quant bien même cela ne serait en rien la motivation d’Abraham, ce n’est pas sa place de s’imposer ainsi. Après tout, à sa place, il n’aimerait pas voir quiconque insister -même pas la personne qui peut lui être le plus proche. Comme un réflexe le voilà qui touche du bout des doigts sa boucle d’oreille avant d’avoir un léger rictus nostalgique qui disparaît aussi vite qu’il est apparu.

Le peu d’hésitation possible semble être résolu lorsqu’il voit Abraham regarder l’heure et confirmer qu’effectivement, iel n’arrivera pas à avoir le prochain bus. Tapotant sur un des livres au-dessus de la pile qu’il lui restera à traiter -plus tard, il lui sourit avant de récupérer sa veste et son sac, semblable à une besace en faux cuir en bandoulière, qu’il passe au-dessus de sa tête en évitant soigneusement de ruiner ses efforts précédents pour faire tenir ses cheveux en place.

« Ah. J’ai pas vu le temps passer.

Moi non plus, si cela peut te rassurer. Et bien, c’est décidé dans ce cas, je récupère juste les clés et … Voilà. »

Tout en lui répondant, il ouvre un tiroir, puis deux, avant de sortir un trousseau de clés. Certaines semblent neuves, d’autre plus anciennes, un amalgame d’époques diverses et variées toutes rassemblées autour d’un petit anneau en fer. Il les glisse dans sa poche, se promettant de les ramener. Plus tard. Il n’a aucune envie de refaire le chemin jusqu’aux bureaux ensuite et que cela soit par simple flemme ou pour d’autre raisons importe peu. Sur le pas de la porte, il attend sagement qu’Abraham le rejoigne.

« Tu as une voiture ?

Mmh ? Ah, oui. Je pensais que tu le savais ? J’ai le permis depuis maintenant 1957. Une bien sombre année pour beaucoup, puisque le code de la route était devenu obligatoire dans mon pays. Un moindre mal, selon moi. »

Léger rire. Lui avait eu le luxe de passer à travers les mailles de justesse ; cependant il se considère comme un excellent conducteur et un bien agréable chauffeur. Peut-être grâce à sa capacité d’évoluer avec le temps et les nouvelles législations.

« N’oublie pas de récupérer tes affaires, je doute que nous repassions ici, trop … Contraignant. Je pourrais porter les livres que tu as récupéré le temps que tu regardes.

C’est au sous-sol ? J’imagine.

Effectivement, fine observation ! A l’inverse de nombre de mes collègues, nous n’aurons pas besoin de faire attention à la hauteur sous plafond dans les escaliers, un avantage indéniable. »

Non pas que sa taille le complexe plus que cela, depuis les siècles il s’y est fait. Sans compter que ça n’a pas été une difficulté durant sa période comme chevalier et encore moins aujourd’hui. Ouvrant la marche, il ne laisse Abraham passer devant que pour pouvoir éteindre et refermer la porte du bureau d’une main. Un sourire en coin et le voilà qui reprend la tête du duo, marchant d’un pas habitués dans les couloirs. Suivant le couloir, il prend un tournant qui mène vers un escalier, un vieil escalier qui semble avoir connu autant d’années que Guillaume -si ce n’est plus. Un pas devant l’autre, il prévient d’une voix calme de faire attention aux marches un peu glissantes. Dans le pire des cas, il pourrait toujours arrêter la chute avec son dos. Normalement.

Abe récupère à son tour son sac, qu’il replace soigneusement sur ses épaules comme s’il craignait alors de s’en déboiter une - c’est déjà arrivé, si jamais vous vous posez la question. Trop fragile, Abraham, depuis qu’il est zombie.

Il récupère alors ses livres d’une main experte, les porte sur ses bras comme s’il avait alors parfaitement l’habitude d’en porter une dizaine ainsi - ce n’est pas ces quelques trois ouvrages qui vont le terrifier, à ne pas mentir. Abraham a toujours été un habitué des bibliothèques, en Arménie, en Russie ou partout ailleurs.

“Tu as une voiture ?”
“Mmh ? Ah, oui. Je pensais que tu le savais ? J’ai le permis depuis maintenant 1957. Une bien sombre année pour beaucoup, puisque le code de la route était devenu obligatoire dans mon pays. Un moindre mal, selon moi.”
“Mmh.” Il se frotte le nez, comme faussement embêté. “La voiture n’était pas très répandue, chez-moi. A mon époque.” En tout cas, Abe n’en avait pas, pas plus qu’il n’a appris à conduire.

Il réhausse son sac sur son dos, un vieux sac en tissu, parfaitement solide et en bon état encore, bien qu’il soit élimé par endroit. Il a du vécu, il est vrai, mais Abe n’est pas prêt d’en changer pour autant.

“N’oublie pas de récupérer tes affaires, je doute que nous repassions ici, trop … Contraignant. Je pourrais porter les livres que tu as récupéré le temps que tu regardes.”
“Non, pas besoin. Je n’ai que trois livres.”
Et le reste dans le sac, bien évidemment.

Il te suit dans les dédales de couloirs, le regard fixé sur ses pieds pour ne plus trébucher comme tout à l’heure, te laissant faire des commentaires sur vos tailles respectives - il n’a jamais été complexé par la sienne, ni par quoi que ce soit de son physique, même après sa zombification.  L’odeur est gênante - pas complexante.

Il glisse légèrement tout de même sur les marches qui descendent.
Se rattrape au mur en pierre, en serrant la mâchoire à s’en briser une dent.

Il inspire l’odeur légère de la vieille poussière, parfaitement sèche, à attendre que s’ouvre la porte des archives. A cet instant, Abraham est plutôt dans une accumulation silencieuse de détails, de tous les genres, de toutes les époques. Les questions viendront plus tard.

« Mmh. La voiture n’était pas très répandue, chez-moi. A mon époque.

Oh je ne peux qu’imaginer. Ce n’était pas le plus répandu également dans les années 50 mais je n’ai pas vraiment eu le choix une fois arrivé à Tokyo. Les transports sont très pratiques mais je dois reconnaître qu’éviter les heures de pointes m’arrangent. »

Il rit de nouveau, faisant d’autant ressortir ses rides du sourire. Il a la décence de ne pas poser plus de questions à Abraham concernant sa réflexion ; du peu qu’il connaisse de sa vie, il juge que ce n’est pas nécessaire de lae questionner outre mesure. Surtout qu’en tant que fin curieux et passionné de littérature, il sait pertinemment le nombre d’explications et de raisons qui se cachent derrière les mots de son compère zombie. Et il est fort possible que le léger mouvement de ses doigts sur le dessus de son nez soit un bon indicateur ; à moins que le vieux poète fasse totalement fausse route. Tant pis, c’est un risque à prendre. Iel refuse poliment l’aide proposé et Guillaume se contente de sourire en hochant la tête.

Dans les couloirs, l’attention toute particulière qu’Abraham porte à ses pieds déclenche un léger rictus chez le bibliothécaire. Iel a raison d’être prudent·e, il serait dommage qu’iel se retrouve de nouveau à se prendre une marche non-désirée dans les pieds, ou de glisser. Dans l’escalier, il allume la lumière à l’aide d’un interrupteur -signe qu’une certaine modernité est passée par ici pour adapter les lieux et heureusement. Malgré tout, la luminosité reste faible et Guillaume est obligé de réajuster ses lunettes pour y voir un peu plus clair, avançant prudemment une main sur la rambarde qui glisse le long du mur fait de pierres brutes. Il entend le bruit d’une glissade derrière lui et en tournant légèrement son visage, il remarque la moue fermée et crispée de l’arménien. Léger soupir amusé, il se retient de lui rappeler de faire attention ; après tout il sait aussi bien que n’importe quel zombie à quel point iels peuvent être … Fragile.

Face à la porte en bas des escaliers, Guillaume l’ouvre à l’aide des clés avant de laisser Abraham passer en premier, le sourire en coin. Il connaît les lieux et peut-être qu’il y a un léger fond de cynisme mais il s’y est suffisamment habitué pour ne plus ressentir autant d’exaltation que lors de son arrivée -malheureusement. La pièce est grande mais la hauteur sous plafond frôle à peine les deux mètres, ce qui lui donne un aspect presque plus proche d’une cave que d’une quelconque bibliothèque. Il est fort possible que les murs nus, avec la pierre apparente, n’aide en rien à donner un aspect plus chaleureux et moderne. Ni l’odeur omniprésente de poussière, la température légèrement plus basse et pourtant plus moite -qu’il n’apprécie que très peu d’ailleurs. Mais il se doute que tout cela n’intéressera que très peu son compère.

« Je te laisse observer et arpenter par toi-même. Tu peux laisser tes affaires juste à côté si cela te soulage. »

Il accompagne ses mots d’un geste pour attraper l’une des rare chaises disposées de manière chaotique dans cette espace, avant de s’asseoir les jambes croisées tout en retirant ses lunettes. La lumière n’est pas bien meilleure que celle présente dans les escaliers, mais il est fatigué de les porter sur le bout de son nez depuis d’aussi longues heures.

« Si tu as la moindre question, je suis à ta disposition. »

Les heures de pointe.
Abraham grimace - agacé à y songer, agacé et légèrement anxieux peut-être, car c’est qu’il n’apprécie pas les transports en commun, trop de gens, trop d’odeurs, trop peu de place. Il laisse parfois passer des bus et des tramway sous ses yeux pour éviter d’avoir à y entrer.

Il regarde tes yeux se plisser.
Fronce les sourcils - comme perturbé.

Mais qu’importe, la porte de la bibliothèque s’ouvre.
Elle ressemble plus à une cave à fromage qu’à une bibliothèque, ce qui n’est pas sans causer une pointe légère de déception dans le fond de sa poitrine, vite balayée par la perspective d’une multitude d’ouvrages anciens, des connaissances parfois datées qu’ils renferment, reflet d’une époque révolue, et par la possibilité de simplement poser la main dessus alors que peu ont eu ce privilège.

Oui c’est quelque chose de parfaitement excitant.
Du moins à ses yeux.

“Je te laisse observer et arpenter par toi-même. Tu peux laisser tes affaires juste à côté si cela te soulage.”
Abby ne se fait pas prier.

En soufflant du nez comme pour chasser l’odeur, iel commence à observer les rayonnages, sans vraiment savoir  où donner de la tête - évidemment, le mode de classement n’est pas le même que dans les salles de lecture. Ses doigts finissent par agripper un ouvrage de Julius Lothar Meyer. Chimiste, il s’agit là d’une version améliorée post-mortem de son tableau périodique, écrit en collaboration avec Mendeleïev, alors que de nouveaux éléments chimiques avaient été découverts.

“... J’ignorais que Meyer était encore ici.”
Iel se demande parfois - comment va évoluer sa discipline. La linguistique - dans le futur. Nulle doute que les langues continueront à bouger, se changer, évoluer. Mais lui ? Il sait déjà qu’on ne parlera plus le même arménien dans cent ou cent-cinquante ans.

Au moins - iel aura encore du travail.
Et des questions plein la tête.

La beauté de la science, c’est que l’on en finit jamais vraiment.

“Dis ?” Sa voix résonne entre les murs et le plafond bas.
“Tu parles des langues anciennes, n’est-ce pas ?”

Iel n’est pas idiot, a bien conscience de ton âge. N’avait pourtant jamais posé la question, quand bien même il connaisse dors et déjà la réponse. Abe étudie l’indo-européen, et l’arménien également, la connexion et la liaison, la phylogénie entre ces deux langues. Pourtant, il y en a d’autres - l’indo-européen a donné toute une famille de langues.

Dans le lot : probablement les tiennes, disparues du monde des vivant.es, mais encore bien présentes, ici et maintenant.

Les bruits de talons au loin lui suffisent à comprendre qu’Abraham est déjà en mouvement, prêt·e à observer ce qu’iel l’entoure. Fort bien, le vieux poète en profite pour sourire doucement dans cette pénombre légèrement éclairée avant de s’installer un peu plus confortablement. Il redescend doucement les manches de son pull, le frais et l’aspect légèrement humide de l’air n’étant pas forcément les meilleurs amis de ses vieux os -et de sa peau plus fragile que celle de n’importe quel·le fantôme non-zombifié·e. Petit soupir alors que ses bras se croisent contre son torse, les jambes toujours croisées, sa tête se renversant légèrement en arrière sur le haut du dossier de la pauvre chaise bien obligée de le supporter malgré des traces claires et évidentes de fatigue. Tout comme son assisse de fortune, le vieux bibliothécaire ressent une légère fatigue qui ressemble également à une lassitude très ténue, qui lui semble presque imperceptible.

Loin de lui l’idée de trouver la situation épuisante ou même ennuyante mais son corps semble accuser le poids de la journée, les efforts pour plisser des yeux et voir dans l’obscurité mais également l’ambiance légèrement soporifique que de regarder une personne passionnée se déplacer de rayon en rayon. C’est apaisant, certes, et l’apaisement appelle une certaine inertie. Il en somnolerait s’il n’avait pas la terrible crainte d’imaginer Abraham devoir se débrouiller pour le réveiller de son sommeil de plomb. La pensée lui arrache un léger rictus, silencieux, dissimulée par l’ombre et sa barbe fraîchement taillée. Il se laisse presque bercer par les bruits de pas qu’iel produit en passant d’un rayonnage à l’autre et pourtant il résister sans aucun mal à tomber dans les bras de Morphée.

Il perçoit des murmures, notamment le nom de Meyer qui ne résonne que très peu en lui. C’est un nom somme tout assez commun, surtout si on prend en compte la quantité de livres qui lui sont passés entre les doigts -que ça soit par lecture personnelle ou plus professionnelle. Il se réajuste un peu, la tête qui repose plus sur les pierres que sur le dossier de sa chaise ; au moins cela l’aide à se maintenir éveillé.

« Dis ?

Mmh ?

Tu parles des langues anciennes, n’est-ce pas ? »

Le vieux poète en aurait presque sursauté puisque la voix d’Abraham résonne bien plus fort entre les murs épais de la pièce. Il se redresse, décroise bras et jambes pour se tenir plus droit en le cherchant du regard. Il lae trouve près d’un rayonnage qu’il ne reconnaît pas tout de suite et qui de toute façon, au vu de sa question, n’a que peu d’importance. Des langues anciennes, la formulation le ferait presque rire. Il oublie, parfois, que la langue qui fût sienne si longtemps n’est considéré que comme une langue morte ou au moins mourante. Loin de s’en offusquer, il l’accepte comme ce que c’est : une évolution, un changement inévitable et bien que cela puisse le peiner un peu, il s’y fait.

« J’imagine que par langues anciennes tu penses à des langues qui se sont un peu perdues aujourd’hui et dans ce cas, effectivement. Que ce soit des formes anciennes de français, de l’occitan et même un soupçon de langue d’oïl dans sa globalité. Cependant je dois l’avouer … »

Il sourit doucement.

« Mon latin n’est plus aussi affûté qu’il y a quelques siècles. »

Le silence flotte quelques instants avant que l’écho de sa voix se fasse de nouveau entendre.

« J’imagine que tu ne poses pas ses questions sans raison. Je t’écoute. »