Suffocation ft. Basil (tw en description)

ft. @Basil Hirsch

Les coups continuent de pleuvoir, dans un rythme minutieux, sans une note au-dessus de l’autre. Son visage est fermé, ses yeux ne reflètent rien d’autre que la face de plus en plus abîmée de l’autre. Loin d’être fatigué, au contraire, chaque impact le pousse à continuer encore un peu plus. Un coup sec en direction de son nez le fait craquer et il s’en fout. Ça ne l’arrêtera pas, ça ne l’arrêtera plus. Peut-être qu’il finira par le briser totalement -et alors ? Peut-être qu’il parviendra à lui crever un œil -comme si c’était suffisant pour lui. A chaque bruit sourd sa cruauté monte d’un cran, à chaque contact repoussant de ses mains qui touchent sa peau son envie de le réduire en cendre augmente un peu.

Il lèche le sang qui recouvre ses phalanges, comme un réflexe inconscient, son instinct de vampire reprenant le dessus.
Evidemment qu’il est dégueulasse, est-ce que ça l’étonne réellement ?
D’un geste brusque, pour ne pas perdre le rythme, il passe les poings sur sa chemise pour les essuyer ; à se demander pourquoi il a relevé ses manches dans un premier temps. Il en profite pour jeter sa veste au loin, accompagné d’un grognement à peine audible. Ça le gêne, ça le retient. Il ne veut plus laisser le moindre lien le retenir, le moindre barreau l’empêcher d’agir comme il le veut. Mais est-ce qu’il le veut vraiment ? Oui. Non. Peut-être. Le vide se fait bruyant, le calme devient tempête et son esprit glisse un peu plus au fond des abîmes.
Dans un endroit où il n’a pas mis les pieds depuis cette époque.

Le sang pulse dans ses oreilles au même rythme que les craquements d’os vibrent sous ses coups. Il préférait le silence, le vide. Mais ça se rempli et ce qu’il y voit n’est pas joli : de la colère, de la haine, une envie de tout détruire. Ne rien laisser pour ne plus avoir à supporter. Les meurtres, la culpabilité, les gens qui poussent encore et encore et encore ses limites avec un sourire malsain, se moquant totalement de ce qu’il peut ressentir. Mais qu’est-ce qu’il ressent exactement ? De la frustration, de l’agacement, de la tristesse ? C’est peut-être ça finalement : un abîme de tristesse rempli des larmes qu’il ne sait pleurer, rempli des regrets et des remords qui le rongent et ne laissent de lui que des fragments éparpillés. Sa conscience ne tient qu’à un fil, certes, mais tout comme le reste de son existence. Il étouffe, il se noie alors que ses bras sont fatigués, si fatigués de devoir s’agiter perpétuellement pour garder la tête hors de l’eau.

Pourquoi continuer à tenter de cacher et renier ses crimes si c’est pour s’en vouloir toujours autant ?

Il s’arrêté brusquement, le poing au-dessus de son visage. Il n’a pas envie de penser à ça. Il écrase les paumes de ses mains contre ses yeux, pressant suffisamment pour tenter de l’éloigner de toutes ces pensées sans pour autant se faire mal. Et pourtant il a mal, partout, ça le brûle de l’intérieur. Il se relève, sans un regard pour sa victime -ou ce qu’il en reste avant de rester là, immobile, pendant quelques secondes. Finalement c’est un énorme coup de pied qu’il assène dans les côtes, sans prévenir, qui semble le faire basculer dans un trop plein. Trop plein de sensations, d’émotions et il en haït chaque seconde. Il a besoin de ne plus y penser.

« Bouge. »

Sa voix est méconnaissable.

« BOUGE. »

Tel un chien enragé, il aboie, il mord. Pourtant ce n’est pas une demande.
C’est un ordre.

ft. @Basil Hirsch

Le bruit rauque de sa gorge le dégoûte profondément et pourtant il ne recule pas lorsque son sang semble trouver un chemin par son œsophage. Il reste là, debout, silencieux, à l’observer. Il contemple dans un silence tel que de loin, cela ressemble à un recueillement. Un recueillement macabre, sale, tordu. Dissonant. Ses chaussures s’écrasent dans la flaque de sang -qui commence à prendre la taille d’une mare alors qu’il s’arrête de nouveau. Du bout du pied, il donne une tape sur son épaule qui semble bien légère et raisonnable en comparaison du reste. Peut-être que ça l’aidera à le bouger : il lui a ordonné après tout. La bête prend la place du maître et il exige mais surtout il déteste attendre. Toute patience semble avoir quitter son corps et son esprit, ne laissant qu’une carcasse rongée par l’impatience et la fureur.

Mais rien ne se passe.
Ça l’énerve.

Le coup part, sans prévenir. Il grogne lorsque le dessus de son pied rencontre le visage de l’autre, comme irrité de le voir rouler un peu. Il refuse de bouger et pourtant il ne sait pas rester en place quand il change d’avis ; incapable de suivre ses changements d’humeur et ses règles arbitraires. Il veut le voir debout, ramper, immobile, se secouer de douleur et tout cela à la fois. Incapable d’être satisfait, il continue de le frapper à terre. Comment ose-t-il respirer ? Alors il vise les poumons, une, deux, trois fois. Peu importe s’il doit vomir et cracher ses tripes de nouveau, il s’en fout. Plus rien n’a d’importance, après tout il n’en a pas eu à ses yeux lorsque Wynn lui a demandé de partir. De reculer. Il ne mérite pas sa patience, il ne mérite aucune clémence. Et pourtant.

Quelque chose ne va pas.

Ça s’agite toujours, en dedans. Il coule, il se noie, il manque sa respiration plusieurs fois. La bête en veut plus mais une voix loin, très loin au plus profond de lui hurle de tout stoper. Mais il est encore trop sourd face à ses propres suppliques pour s’arrêter là, comme ça. Le mouvement impétueux de sa colère et sa rage continue de prendre le dessus et il s’en prend maintenant aux creux de ses côtes ; s’accroupissant pour rejoindre sa hauteur pathétique, il frappe le poing encore bien serré. Il sent que quelque chose se brise ; est-ce en lui ou chez l’autre ? Impossible de le savoir. Il se ruine les doigts et peu importe que ses phalanges explosent : il sera ruiné avant lui. C’est ce qu’il cherche, c’est ce qu’il veut non ?
Une part de lui n’est plus si sûre.

Qu’est-ce qu’il veut, au final ?

Il grogne, il halète. La fatigue le gagne mais quelque chose de particulièrement monstrueux continue de le pousser encore un peu plus loin, juste un peu. Mais à chaque coup une nouvelle fissure semble apparaître dans son esprit, laissant trop de places aux pensées inutiles, aux émotions douloureuses, à cette humanité qu’il pensait avoir enfin rejeter. Il n’en veut pas, il n’en veut plus.
C’est trop douloureux à supporter pour lui.

ft. @Basil Hirsch

Que les os explosent, que son visage se fissure ; rien ne semble être capable de l’arrêter. En apparence, tout du moins, le chien enragé continue de punir avec une frénésie telle que la douleur de son majeur qui s’écrase trop fort contre une côte trop dure ne lui parvient même pas. Chaque petit bruit absolument repoussant qu’il produit sonne comme une justification à continuer : après tout il respire encore. Mal, et peu, mais encore. Il s’arrête de nouveau pendant un instant qui semble bien trop court. Il respire profondément, comme si l’air passait pour la première fois à travers ses poumons. Il le dégoûte et pourtant la faim lui donnent envie de se nourrir ; mais plutôt mourir que de goûter à ce sang qui a tout pour le repulser. Il suffit de voir son porteur après tout. Ça ne l’empêche pas de passer ses mains endolories sur son visage, l’odeur du sang qui l’enivre un peu. Ou le rend encore plus instable ; difficile de le savoir. Une instabilité qui le pousse à un point de non-retour.

En tout cas, c’est ce qui semble paraître.
Jusqu’au moment où les quelques mèches de cheveux de l’autre disparaissent lorsqu’il les saisit, d’une main poisseuse.

Stupeur. Tremblement de ses doigts. Comment ses cheveux peuvent paraître s’évaporer ainsi, ne laissant que ce qui ressemble à des cendres. Des cendres. Son corps s’immobilise, au-dessus de ce qui s’apparente plus à une poupée désarticulée qu’un être humain. Il lâche, il contemple ses paumes comme incapable de comprendre ce qu’il peut bien se passer. La bête semble avoir un moment de faiblesse, une incompréhension qui lui coûte cher puisqu’elle laisse la place à sa pire ennemie. La conscience. Les tremblements se font tels qu’il ne peut se retenir de croiser ses bras contre lui, se serrant fort, si fort que ses ongles entre légèrement dans sa peau et qu’un léger filet de sang se met à couler. Il ne peut pas avoir vu ce qu’il a vu et même si c’était le cas pourquoi se mettre à douter ? Pourquoi maintenant, là, à ce moment précis alors qu’il se sentait enfin mieux ? Mais est-ce réellement du soulagement, ou tout autre chose ?
Qu’est-ce qu’il veut, finalement.

Est-ce qu’il attend de voir la flamme s’éteindre dans ses yeux ? Qu’il le supplie, qu’il l’implore ? Quelque chose ne tourne définitivement pas rond chez lui ; et pourtant cette pensée elle, elle tourne encore. Et encore. Comme un engrenage rouillé, souillé, corrodé par le temps qui s’est arrêté il y a longtemps. Très longtemps. Trop épuisé pour continuer à fonctionner il s’est mis en veille et pourtant à ce moment précis, il entame un cran pour la première fois depuis des siècles. C’est plus douloureux que tout ce qu’il a bien pu lui infliger ce soir : il en est persuadé. Ou plutôt il essaye de s’en persuader, de s’en convaincre, comme incapable de faire face aux conséquences de ses propres actions, de son libre arbitre qui est bien le seul responsable de la scène qui se présente face à lui : un corps abîmé si profondément dans ses chairs qu’il n’y a bien que le fait d’être un fantôme qui le sauve un peu de l’absolu trépas. Du repos éternel qui lui tend les bras, là, si près.

Mais il refuse de lui donner. Par colère, haine et dégoût, il lui refuse toute forme d’absolution.
Par peur, culpabilité et empathie, il lui refuse de mourir pour de bon.

S’il pouvait s’arracher les yeux il le ferait. Cette sensation qui le brûle derrière ses globes oculaires devient le fléau de son existence ; ça l’entrave de nouveau. Il ne veut pas, non, il refuse. Il ne veut pas recommencer à souffrir, à vivre sous des pulsions si violentes et instables que cela a bien failli lui coûter encore plus que tout ce qu’il a pu sacrifier depuis : liberté, libre arbitre, prise de décision. Il a tenté de transformer une bête affamée en un chien bien sage, bien éduqué en se cachant les yeux, se voilant la face dès que cette dernière se comportait comme ce qu’elle est : un monstre. Il s’est muselé lui-même et à gracieusement donner la laisse à quiconque accepterait de prendre ce poids à sa place.

Le poids de faire face, de dresser plutôt que de taire, de museler.

Il veut sa liberté et il en a peur.
Il veut affronter et confronter et il rejette ses émotions.
Une contradiction si immense que son esprit semble se fissurer et il voit double. Ou bien est-ce simplement sa vision qui cède sous la pression immense de ce trop plein qui déborde, enfin, après tant d’années ? Qui s’exprime dans la brutalité, le sang et la bile ? Quels genres de sévices compte-t-il encore infliger et à qui ?
Sa victime ou à lui-même ?
Brusquement ses mains attrapent ce qu’il reste du col de son tee-shirt détrempé, le forçant à se redresser légèrement pour rapprocher son visage du sien.

« C’est de ta faute. C’est de ta faute. »

Un mensonge si révulsant qu’il lui brûle la gorge.
Il est trop tard pour arrêter l’engrenage, maintenant.

ft. @Basil Hirsch

Il répond. Il ne comprend rien. La voix faible, les intonations venant d’un pays inconnu pour Wynn, le sang, la bile, tout semble se mélanger dans une mélasse parfaitement immonde et indéchiffrable. Qu’est-ce qu’il peut bien lui dire, exactement ? Un frisson lui parcourt l’échine au même moment que cette prise de conscience glaciale : cela ressemble aux derniers instants. Les dernières paroles, celle d’un condamné qui se bat pour exprimer quelques mots, quelques phrases, pour ne pas être totalement oublié. Il se fige encore plus, tenant toujours fermement le col de l’autre comme incapable de le lâcher, incapable de lâcher quoi que ce soit. La bête revient pousser, mordre, ordonner mais le corps du vampire refuse de bouger. Ou plutôt, il ne sait plus comment. L’engrenage gronde, la sensation de brûlure dans la gorge augmente. Encore. Et encore. Et encore.

Pourtant elle ne suffit pas à lui faire oublier le bruit de ce corps si abîmé. « Tu es poussière et tu retourneras à la poussière ». Il l’a entendu, vu, vécu. Tout cela à la fois et en même temps. Les mots continuent de dégouliner de ses lèvres, les syllabes se mélangent et il ne comprend qu’un mot, un mot qui peut sembler insignifiant et qui pourtant finit de déchirer quelque chose en lui.
Tuer.
Les yeux du chien se voilent alors que les siens se remplissent et se vident de larmes, des larmes si salées qu’elles pourraient bien tracer des sillons permanents dans sa peau. Il pleure comme il n’a jamais pleuré : ni à sa mort, ni pendant sa chute, ni à sa renaissance. Les sanglots sont silencieux mais ses épaules le trahissent, se trémoussant brusquement à chaque inspiration et expiration comme incapable de se calmer.

Pourtant ces larmes, il les vole. L’autre devrait pleurer, le supplier, l’implorer. Et pourtant c’est bien les larmes de Wynn qui tombent les unes après les autres contre les pavés glacés de cette ruelle. C’est bien les larmes de Wynn qui finissent par faire taire la bête de nouveau mais pour combien de temps ? Il n’a plus de muselière, plus de laisse, plus rien que sa propre volonté. Sa conscience perdue depuis bien longtemps et la vanne des émotions grande ouverte ; il ne contrôle plus rien. Et cette absence de contrôle le rend un peu plus instable et incapable de réagir. Mais elle lui fait peur, aussi. Une peur viscérale, semblable à celle qu’il a déjà ressenti tant de fois enfant -celle qu’il redoutait tant. Ce n’est pas de sa faute. Si. Non. Il ne sait plus vraiment. Il se sent mal, si mal et la brûlure dans sa gorge menace de se déverser s’il ne fait rien.

Les yeux fermés, ses mots s’évanouissent autant que ses cheveux, ses cils. Wynn semble le secouer légèrement, plus à cause de sa crise de larmes que par volonté de le maintenir éveillé. Il doit réfléchir, maintenant, tout de suite. La panique le gagne de plus en plus, les aboiements du chien le tendent, l’agite, lui donne envie de hurler. Alors il grogne, sanglote, murmure un patois gallois depuis longtemps oublié. Il refuse de le tuer. Il lui refuse ce droit, cette facilité et pourtant n’est-ce pas ce qu’il voulait ? La bête s’indigne, Wynn secoue la tête comme pour la chasser à défaut de pouvoir la calmer. S’il ne doit pas mourir, il lui faut de l’aide.
De l’aide, et vite.
Il le repose avec une délicatesse effrayante contre le sol, les mains légèrement tremblantes, avant de se forcer à réfléchir. Demander de l’aide, appeler de l’aide. Les larmes coulent toujours alors qu’il fouille les poches de sa victime -ou en tout cas de ce qu’il en reste. Rien, rien, rien. Un téléphone. Il cherche à l’ouvrir mais sans succès avant de remarquer le lecteur d’empreinte qu’il écrase doucement contre les doigts.

Face à lui un tas d’informations, trop. Il essaye le dernier numéro du journal d’appel.
Le silence.
Il réessaye.
Le silence de nouveau.
Le deuxième numéro semble être sa chance, son salut ; leur salut. Une intonation grave mais fatiguée lui répond. Désemparé, comme s’il ne s’attendait pas à ce que quelqu’un réponde à ce numéro, il bute sur les mots. Les larmes lui brouillent la vue mais également la voix qui s’étrangle, qui se brise, qui se fait murmure. Il ne fait que répéter le lieu de rendez-vous, une fois, deux fois, trois fois, incapable de formuler quelque chose plus de cohérent. Il abdique, lâchant le téléphone à côté du corps.

Qu’est-ce qu’il va bien pouvoir faire maintenant.
Si ce n’est tenter de fuir. Ou de se sacrifier.
Il ne sait pas, il ne sait plus.