[FB 2011] Échangés | Warren & Célestin

Les Catacombes. C’est joli comme nom quand on y pense.
Tu ranges tes affaires et tu fais des petits signes de mains aux élèves qui quittent la salle progressivement. Rapidement tu te retrouves tout seul dans le silence, uniquement rompu par tes gestes de bourrins qui jettent pinceaux, crayons et autre dans un grand sac. Et encore, cette fois-ci, tu as renoncé à ramener ton chevalet portable jusqu’au fin fond du bâtiment. Ça t’a brisé le cœur bien sûr mais finalement ton dos te remerciera en fin de journée. T’aimes bien ce petit moment de calme après un cours où il ne reste que toi, tes pensées et tes milliards d’idées pour la prochaine fois

Tu viens pas souvent aux Catacombes. La première fois ça doit remonter à l’année dernière -ou celle d’avant. Une vieille connaissance qui t’avait demandé si tu te sentais de faire un petit cours de démonstration ; après tout c’est pas souvent qu’on peut voir un ancien disciple de Bob Ross en action. T’aimes pas trop qu’on te ramène à ça, autant pour ton ancien mentor que pour toi-même mais hé, buisness is buisness. C’est la partie que t’aimes le moins dans ton boulot mais t’as appris à composer avec depuis le temps, sinon tu sais que t’aurais pas tenu. Maintenant t’as de la chance entre Joshua et tes connaissances tu peux te permettre de te faire plaisir, comme par exemple donner des cours alors que t’as absolument pas la méthodologie d’un prof. Mais ça fait plaisir aux gamin·e·s, ça dépanne et ça te fait pratiquer en même temps

Une fois tout dans le sac, tu t’essuies le front de ton bras en poussant un soupir de satisfaction. Ajustant tes cheveux dans un messy bun particulièrement messy, tu prends le sac et tu le ramènes à l’accueil. Pourquoi te balader avec et te ruiner l’épaule quand tu peux simplement le récupérer plus tard ? Avec toi, tu ne gardes que ton petit sac en bandoulière habituel, rempli de fournitures diverses et d’au moins deux carnets. Tu marches ou plutôt tu déambules en observant les pierres, les couloirs, les intérieurs. Parfois tu pousses une porte -même si tu fais attention qu’un cours se déroule pas dans la pièce, quand même. T’as du respect pour les autres profs et tu voudrais pas être une nuisance. Les mains dans les poches, tu passes devant une énième porte mais cette fois-ci quelque chose t’interpelle

Il y a du bruit.
Ou plus exactement, une voix. Une très, très jolie voix.

Tu tends l’oreille et tu écoutes. Même à travers la porte, tu sens toute la force et la puissance dans cette voix particulièrement basse. Tu n’es pas le plus calé en chant et tu te contentes de gratouiller de la guitare mais ça ne t’empêche pas d’avoir une petite oreille musicale. Tu comprends vite que c’est un cours en entendant la voix des autres élèves -et ça te faire ricaner, dans le bon sens du terme. Tu trouves toujours ça mimi de voir les étudiant·e·s à fond -ah, c’est beau la jeunesse. T’as vraiment pas envie de perturber le cours mais la curiosité te titille trop et te voilà à entrouvrir la porte et y passer la tête -et finalement entrer silencieusement. Le prof semble occupé alors tu en profites pour t’installer sur une table au fond de la pièce en étant le plus discret possible

Tu te sens comme un agent secret.

Tu écoutes, attentif et admiratif à la fois. Il en impose et sa voix fait presque vibrer ton petit cœur par sa puissance mais aussi sa beauté. Tu te retiens de dessiner -tu n’as pas demandé avant et tu n’aimes pas trop croquer des inconnus sans leur consentement. Surtout après t’être incrusté comme ça. Le cours continue de se dérouler sous tes yeux médusés ; à tel point que tu remarques pas que le prof’ a commencé à se déplacer parmi les élèves. Et toi, tu es clairement pas un élève. Tu ferais aussi un très mauvais agent secret finalement

« Oups. »

Tu souris de ton fameux sourire charmeur alors que ta voix se fait douceur et murmures pour ne pas déranger encore plus que tu ne le fais déjà

« Busted. Désolé, j’ai été attiré par votre voix à travers la porte. Très jolie voix d’ailleurs. »

Tu joins les deux mains comme une supplique silencieuse

« Est-ce que ça pose un souci si j’reste ? J’uis juste un demi-prof un peu trop curieux, haha »

« ... Merci ?

Héhé, de rien. »

Tu hésites à rajouter que ton compliment, bah tu le penses. Mais tu sais pas si son hésitation vient de la surprise, du fait que tu es un parfait inconnu à ses yeux ou juste un truc genre de la timidité : alors tu ne dis rien de plus. Il cligne des yeux et tu as l’impression de mettre un peu le bazar dans son cours. Peut-être que finalement c’était pas une si bonne idée ? Mais t’étais tellement curieux et puis, c’est un peu comme un collègue. Toi qui n’as plus beaucoup de compères artistes avec ton métier un peu solitaire, t’as été enthousiaste. Peut-être un peu trop. Enfin s’il te demande de partir tu sais que tu le feras, après de plates excuses, un petit sourire et tu prendras la porte. No hard feelings

« Non, du tout, vous pouvez rester. C’est un cours pour les basses, mais à ce niveau, ça ne devrait poser aucun souci… M’enfin, sauf si vous connaissez votre tessiture.

Tessiture hein ? »

Le mot t’es pas inconnu non plus, mais pas familier pour autant. Tu l’as déjà entendu -mais où ? Tu sais ce que ça veut dire. Un peu. Vaguement. Peut-être ? En tout cas ça a un rapport avec la voix, ce qui serait pas étonnant vu le sujet de son cours. Mais tu saurais pas vraiment expliquer ce que c’est ou même connaître la tienne, de tessiture. Mais alors tu vas devoir chanter ? Tes yeux sont subitement animés d’une petite étincelle ; ça te ferait grave plaisir. Est-ce que t’es un bon chanteur ? Clairement pas, surtout si tu dois te comparer à quelqu’un qui a une voix aussi incroyable que celle de l’homme qui te fait face. Mais tu dois savoir te débrouiller non ? T’as déjà chanté dans les rues, pour bercer des gamin·e·s et pour des potes, alors tu devrais t’en sortir

« ... Vous connaissez votre tessiture ? On peut faire un test si vous voulez.

Héhé, j’avoue je la connais pas, mais j’veux bien tester ! Bon, j’imagine que c’est mieux si je me met debout »

Une fois debout tu te rends compte que tu le dépasses largement en taille. Il te paraissait pourtant bien plus grand quand tu l’observais dans l’encadrure de la porte. Ça te fait encore plus sourire

« J’vous écoute cher professeur, qu’est-ce que je dois faire ? Ah et … »

Tu lui tends la main, en faisant un clin d’œil et un petit rire léger

« Warren. Enchanté »

Tu écoutes ses explications en bon élève que tu es ; hauteur, voix, notes, pas absolu. Tu retiens les informations essentielles que tu essayes de mémoriser dans un coin de ta tête alors que de ta main droite tu fais un petit signe "ok" discret, le rictus aux lèvres dévoilant légèrement tes molaires. Tu prends aussi conscience à ce moment précis que tu es un parfait novice dans le domaine malgré tes années de guitare. T’as jamais vraiment pris le temps de t’y consacrer plus que quelques soirs au débotté comme ça, quand tu veux te relaxer. Ou juste pour faire dormir les gosses du Refuge, aussi. Et malgré ton air souriant et tes petites blagues, tu prends très au sérieux ce que te dit le professeur ; il faut juste suffisamment te connaître pour savoir lire entre tes lignes parfois très maladroites. Tes mains étaient dans tes poches mais rapidement tu les cales derrière ton dos dans une rigidité qui sent bon l’ancien soldat. Le militaire. On peut encore le voir parfois dans tes gestes très droits, précis, agiles mais froids. T’essayes de t’en débarrasser et jusqu’à présent tu t’en sors pas trop mal. Mais dès que tu dois être debout sans avoir les mains dans les poches, tu sais jamais trop où les mettre sans te donner un air autoritaire avec le torse bombé. Alors tu te courbes très légèrement, suffisamment pour te donner un air moins droit -et plus petit, aussi

« Oui : plus de volume dans la cage thoracique.

Ouai, ça semble logique »

T’as déjà été en concert, au théâtre et généralement les gens chantent ou parlent debout. Et vu ton absence de connaissance sur le sujet, tu te permettrais pas de remettre sa parole en doute. Tu le regardes toujours souriant, les mains derrière toi. T’es un peu voûté mais pas suffisamment pour réellement réduire la différence de taille entre vous ; ça serait peine perdue de toute façon. Pis c’est pas comme si ça te dérangeait : t’as l’habitude maintenant. Tu l’observes sortir un clavier et s’installer, alors que tu fais un petit signe aux élèves qui te regardent. Décidément toi qui voulait pas déranger te voilà au centre de l’attention. Ça te fait absolument rien, si ce n’est que tu t’en veux un peu d’avoir cassé le rythme de son cours ; et que t’arrives absolument pas à savoir s’il est agacé ou non

« Célestin.

Enchanté Célestin »

Tu réponds dans un français très … brouillon. Qui sent bon l’accent américain et avec un fond d’accent parisien qui résonne dans tes cordes vocales. Faut dire que tu le pratiques pas souvent si ce n’est jamais. Mais quelque chose dans son nom te rendrait presque nostalgique ; peut-être que tu devrais repartir en voyage un de ces quatre. Il te serre la main doucement et tu lui rends la pareille

« Bien, pour commencer. Une vocalise, simple et neutre. Votre timbre de voix habituel. Je trouverai la note et ensuite je vous laisserai descendre lentement sur des notes plus graves, jusqu’à ce que vous soyez obligé de souffler.

Okaaay ça marche, j’vais faire de mon mieux ! »

Tu te racles la gorge légèrement. Ça serait mentir que de dire que tu es pas au moins un tout petit peu nerveux. Oh c’est ni son regard ni ceux des élèves qui pose soucis c’est que tu as pas la moindre idée de comment tu vas t’en sortir. Et tu as perdu l’habitude d’être dans un environnement aussi peu … Familier. Ça titille ton côté perfectionniste. Tu inspires et expires avant de te lancer. Tu fais une première vocalise et ta voix porte, peut-être même un peu trop. Alors tu essayes de baisser le volume et de suivre les notes qu’il joue. Le résultat ? T’es pas le meilleur chanteur, loin de là. Ta voix est légèrement rauque, elle semble parfois prête à se briser légèrement et elle vibre. Mais on sent aussi la chaleur et la douceur qui s’en dégage et même si t’as l’impression de louper certaines notes tu t’amuses. Tu t’appliques. T’essaye de ton mieux et ça se sent. Tu finis par avoir du mal à descendre dans les graves et tu souffles.

« Eh ben, j’me doutais que ça serait pas facile … Mais c’est vachement technique ! Alors, je m’en sors comment ? J’espère que j’ai pas fait trop n’importe quoi »

Alors que ses doigts semblent s’arrêter de jouer, tu te racles un peu la gorge. C’est que ça fatigue de chanter comme ça ; tu éprouves subitement une vague de compassion et d’admiration pour les chanteur·euse·s professionnel·les et leur endurance. Mais il se veut rassurant et tu dois l’avouer, t’as pas l’impression d’avoir beaucoup briller mais hé, c’est comme ça qu’on apprend aussi

« Parfaitement bien, mais vous n’êtes définitivement pas basse. »

Oups. Heureusement que t’as écouté ce qu’il te disait car tu comprends vite que quand il parle de basse c’est pas l’instrument qu’il évoque. L’idée de pouvoir confondre les deux te fait pouffer de rire en dedans. Si ça avait été un cours de basse électrique peut-être que tu brillerais un peu plus déjà ; mais là tu le raccroches vite avec son explication sur la tessiture et tu hoches la tête en réprimant très très fort ton rire. Tu l’écoutes et tu as ce petit moment où tu te demandes si c’est ce que les étudiant·e·s ressentent lorsque tu leur parles de peinture alors qu’iels sont novices ? Ou ce que Célestin ressentirait si tu commençais à parler pantone et acrylique.

« Du tout, du tout.

Ouf, ça me rassure haha »

Il te sourit et tu souris en retour. Au moins il n’a pas l’air fâché, ce qui te soulage un peu quand même. T’as beau être assez à l’aise même sous le regard d’inconnu·e·s, ça te tracassait un peu de pas savoir s’il était en colère ou non. T’as toujours été très chill et même parfois un peu trop au point de t’imposer là où t’es pas forcément désiré ; et des fois, tu t’en rends compte un peu tard. Ou quand le mal est fait. Et ça t’aurais bien embêté que ça soit le cas avec un collègue -même si t’as pas la prétention de te considérer comme prof’ à plein temps. Voir pas réellement comme un prof.

« Bien, on va faire l’inverse maintenant. On va repartir de votre note de confort, et monter dans les aigus petit à petit, jusqu’à ce que ne soit plus possible.

Okay okay … Dans les aigus hein ? J’ai pas trop l’habitude j’avoue, mais bon faut bien se lancer !

N’hésitez pas à un boire de l’eau, d’ailleurs. »

Il a raison, t’as un peu soif et ta gorge te tire. Alors tu t’exécutes comme le bon élève que tu essayes d’être -ou comme un bon petit soldat, et tu bois quelques gorgées avant de revenir à ta place. La pièce est toujours relativement silencieuse et tu finis par plus trop faire attention aux regards ; t’es bien trop concentré à essayer de faire de ton mieux. Les notes au piano reprennent et tu te lances avec un peu plus de confiance cette fois-ci. Ta voix tremble toujours mais moins et tu montes progressivement en suivant les notes comme tu peux. T’as aussi l’impression de louper quelques notes -tu le remarques parce que tu te connais. Et t’es plutôt sûr qu’il va le remarquer aussi. Mais t’arrives à monter même si tu prends un peu plus ton temps et t’arrives à être surpris par ta propre performance. Et d’un coup, comme il y a quelques minutes, t’y arrives plus et l’air vient à te manquer alors tu souffles avant d’inspirer longuement. Tu pousses un léger « Pfiouh » en te penchant un peu avant de mettre les poings sur les hanches et te relever en souriant, à moitié mort de rire

« J’crois que j’ai pas été à bout de souffle comme ça depuis un moment, wow. J’en doutais pas une seule seconde, mais ça rigole pas et ça demande un sacré boulot. »

Tu reprends à boire, le sourire aux lèvres. C’est difficile, mais t’aimes bien sortir de ta zone de confort et là, t’es servi

« Alors euh, finalement, vous en pensez quoi ? »

« Ahah oui je peux vous le garantir.

J'imagine. Vous avez l'air euh, calé dans le domaine »

Sourire presque gêné. T'es pas toujours le meilleur en termes de compliment mais hé, au moins t'essayes. C'est que mine de rien, tu repenses au moment où t'écoutais à travers la porte et tu te dis qu'il est compétent. Très compétent même. T'aimes pas trop utiliser le terme "doué" car souvent les gens pensent que c'est du talent, que c'est comme ça. Inné, un peu. Toi t'y crois pas, t'as vu trop d'artistes se briser le dos, les mains ou la santé pour parvenir à s'améliorer pour réduire ça au simple talent. Clairement y'a du boulot derrière ; t'en es persuadé

« Hm… Eh bien vous semblez correspondre à un profil de ténor, bien que vous puissiez monter un poil plus haut et que vous loupiez une note dans les basses.

Ténor hein ... »

Tu te grattes la barbe l'air songeur. Avec ta voix naturellement un peu rocailleuse -probablement un effet des clopes que tu t'enfiles depuis ta tendre adolescence, ça te surprendrait presque mais en même temps c'est lui le prof non ? T'hoches la tête l'air convaincu. Tu l'écoutes rejouer au piano ce qui semble être l'ampleur de ta tessiture et tu reconnais quelques notes. T'es pas appliqué niveau solfège et ton oreille musicale mériterait bien un petit entraînement mais heureusement pour toi tu joues quand même assez souvent pour avoir quelques repères. Un minimum, en tout cas

« Mais la tessiture n’est pas quelque chose d’absolu non plus. Elle peut se modifier ou s’étendre - dans la limite du raisonnable.

Vous entendez quoi par la limite du raisonnable ? J'avoue ça m'intrigue et comme j'y connais pas grand-chose. Genre par exemple, vous avez toujours été basse ? »

T'es curieux. Tu l'as toujours été, encore plus pour des domaines que tu trouves intriguant. Et si tu rajoutes à ça le fait que tu trouves Célestin fascinant, tu peux pas t'empêcher de poser des questions. Peut-être que ça te regarde pas, peut-être qu'il voudra pas te répondre mais c'est plus fort que toi : la curiosité se lit dans tes yeux alors que tu souris avec douceur. Mais même s'il te refuse une réponse tu accepteras sans problème car t'es déjà reconnaissant envers lui et sa patience. Et au fait qu'il n'a pas cherché à te mettre direct à la porte lorsque tu t'es incrusté comme un malpropre dans son cours, un cours dans lequel tu n'as pas ta place ; autant parce que t'es pas élève que parce que t’es même pas basse. L'idée de devoir potentiellement déjà repartir t'attriste mais s'il te le demande tu t'y plieras sans insister. Ou juste un peu. Ça toussote dans les rangs et tu te dis que peut-être que tu mobilises un peu trop de temps, ou alors c'est une pure coïncidence

« En tout cas merci professeur Célestin, c'était très intéressant. Hé dites, je sais que j'uis pas basse mais ... Si j'me fais petit, tout petit, vous accepteriez que je reste observer ? Je promets de revenir dans le bon cours et en échange ... »

Tu fais mine de réfléchir alors que ton sourire lumineux te trahit ; t'as une idée derrière la tête et ça se voit. T'essayes même pas de réellement le cacher

« Je vous réserverais une place dans mon cours, enfin si ça vous intéresse bien sûr hein. Donnant donnant. Et quand vous le sentez, enfin même si j'uis pas souvent dans les parages donc faudra saisir le bon moment ! »