come for dinner | ft. yoshi

un vol odieux

ft. @Yoshi Akabane

Même avec son casque vissé sur le crâne, le grommellement provenant de l’estomac de Junko vint résonner jusqu'à ses oreilles.

L’orage arrive, il est temps de se rendre à l’évidence : c’est l’heure de s’acheter à manger.


En effet, la brune n’avait toujours pas pris la décision de se trouver un réel emploi, et les quelques ossements qu’elle avait récolté en donnant un ou deux cours d’informatique aux âmes bien trop vieilles pour maîtriser ces outils étaient loin d’être suffisants pour se permettre ses livraisons habituelles de bons repas à domicile.

Elle avait poussé un soupir en jetant un coup d'œil dans son porte-monnaie, qui semblait tout autant crier famine qu’elle tant il était amaigri.
Par chance, la demoiselle savait se satisfaire d’un repas simpliste, et avait pris la fâcheuse habitude de suivre un régime à base de restes gentiment laissés par ses colocataires, et surtout le Graal, son précieux :

Les paquets de nouilles instantanées bon marché.


En ce début de soirée, Junko n’avait pas pris la peine de se pomponner avant de se rendre à l’épicerie la plus proche. Le nid d’oiseau qui lui faisait office de tignasse avait été attaché dans un chignon qui défiait les lois de la physique, un manteau noir l’engloutissait juste assez pour camoufler le pyjama usé dans lequel elle se traînait régulièrement, et sa paire de bottes trouées suffisaient à couvrir ses chaussettes dépareillées.

Clés en poche, masque sur le nez, le corbeau prit rapidement son envol.


Il ne lui avait fallu qu’une poignée de secondes pour se retrouver face à son rayon favori, tant le chemin lui était devenu familier. Certes, la sélection de saveurs n’avait rien d'exceptionnel, mais Junko s’était trouvée une marque favorite à un prix défiant toute concurrence. Elle n’en demandait pas plus.

D’un geste bien huilé, la jeune femme s’était élancée sur la pointe des pieds pour se procurer deux paquets de nouilles instantanées au bœuf, comme à son habitude. Et, pour une fois, elle ne manquait pas de chance : elle venait de happer les derniers du rayon.


Mais au moment de tourner les talons, quelque chose avait attiré son attention dans sa vision périphérique. Ça l’avait même fait sursauter, tant elle était dans sa bulle.

Il y avait quelqu’un d’autre, à sa gauche. Quelqu’un de plus petit, de plus lent, qui semblait avoir tenté de lancer le bras dans la même direction qu'elle.
Venait-elle de lui piquer son repas du soir, juste sous son nez… ?


Le temps de comprendre la situation, elle s’était retournée vers l’inconnue, l’air perplexe. Son regard sombre alternait d’une façon parfaitement régulière entre elle et les paquets de ramens qu’elle tenait entre ses mains, juste assez longtemps pour assembler les pièces du puzzle.

Cette fille, elle lui disait quelque chose. Sans jamais lui avoir adressé la parole, le corbeau était persuadé de l’avoir déjà croisé plus d’une fois.
Oui, ça lui était finalement revenu : elle faisait face à une autre grande connaisseuse en matière de nouilles déshydratées, à en juger par la fréquence à laquelle elles se croisaient dans cette section du magasin.


Un haussement de sourcils vint finalement briser son expression neutre, les yeux braqués sur le divin objet.


C’était encore trop tôt pour s’excuser, sa théorie de chapardage n’était pas encore validée, après tout.
De toute façon, l’ermite n’avait aucune intention de les lui laisser. Première arrivée, première servie.

@junko miyata

Des fois, il y a des oublis. Des fois, Yoshi se dit que ce n’est peut-être qu’une question de malchance qui lui est tant destinée. Ses placards et son frigo sont vides, elle n’a plus rien à manger à force de fuir les magasins. D’habitude, elle se prépare en amont, elle organise à l’avance la terrible épreuve qu’est de faire les courses. Cette fois-ci, c’est trop tard. Il faut y aller avant que les magasins soient bondés, mais c’est déjà le début de soirée qui commence, les habitants du Tokyo des Mort·e·s sont de sortie et Yoshi va devoir affronter leurs regards.

Elle aurait pu fuir encore, repousser au lendemain, mais la faim est trop forte pour l’ignorer. Il faut y aller, il faut se motiver. C’est aussi comme ça qu’elle peut vaincre sa timidité et le restant de ses angoisses dont elle n’arrive pas encore à se défaire, c’est comme ça qu’elle arrive à relativiser, à se convaincre que ce qu’elle fait, c’est bien, que c’est ce qu’il y a à faire de mieux.

Alors, Yoshi se prépare. Elle attrape son sac de courses sans oublier son portefeuille et elle part en direction de son magasin préféré, là où tous les produits bon marché sont présents, là où elle sait qu’elle croisera le moins de monde. Hors de question d’aller dans le plus gros magasin, même s’il y a plus de choses, elle continue de fuir le monde entier.

Puis, c’est surtout là qu’elle trouve ses produits préférés. Elle a bien envie de nouilles instantanées ce soir, de toute façon c’est l’un des seuls “plats” qu’elle ne peut pas rater à cause de sa maladresse.

Il y a quand même un peu de monde dans le magasin, mais Yoshi s’était attendue à pire. Ça va aller, qu’elle se rassure, elle va faire vite, elle se l’assure. Alors elle fait le chemin habituel, prend tout ce dont elle a besoin pour ne pas avoir à retourner faire les courses de si tôt. Elle a un chemin bien précis, elle passe là où elle sait qu’elle n’aura pas à faire demi-tour ou d’allers-retours inutiles. C’est précis, elle sait ce qu’elle doit mettre dans son sac qui se fait un peu plus lourd à chaque nouveau produit qu’elle y met. Puis, elle termine vers son fameux rayon préféré, là où elle pourra trouver ses paquets de nouilles préférés.

Il y en a pour tous les goûts, mais ce qu’elle a envie de manger ce soir sont celles au bœuf, ce sont les meilleures après tout. Elle prend quand même d’autres goûts pour les prochains jours et elle s’approche enfin timidement vers sa première motivation de sa venue ici, mais quelqu’un est déjà là. Elle hésite, mais ose quand même s’approcher timidement. Malheureusement, Yoshi arrive trop tard, elle voit la fille attraper les deux derniers paquets qu’il restait dans le rayon.

Elle s’arrête nette et bêtement, le bras tendu vers maintenant du vide. Il ne reste plus rien et ça ne sert à rien d’espérer que d’autres paquets seront mis en rayon dans les minutes qui suivent. Il faudrait revenir le lendemain, mais Yoshi n’a aucune envie de répéter l’aventure aussi vite.

« Ah… Pardon… »

Elle s’excuse systématiquement, ce sont toujours les premiers mots qui sortent de sa bouche, sans hésitation, même s’il n’y a pas de raison pour. Leurs regards se croisent enfin, après que Yoshi ait regardé les paquets dans les mains de la fille qu’elle reconnait finalement. Elles se sont déjà croisées, dans ce même magasin, à d’autres moments de la journée, là où il n’y a personne pour déranger.

La situation devient gênante, Yoshi ne peut pas non plus fuir sans avoir à être impolie, alors elle tente timidement :

« Elles sont très bonnes ces nouilles, c’est normal qu’il n’en reste plus. Je vais prendre autre chose. »

Elle sourit poliment, mais ne bouge pas. Elle a de toute façon déjà tout ce qu’il faut dans son sac, et elle ne sait pas faire semblant. Elle préfère attendre que l’autre fille brise la glace, qu’elle s’en aille peut-être en première. Finalement, Yoshi se pince les lèvres entre elles, les doigts se resserrent sur les hanses du sac de courses presque trop lourd pour elle.

Finalement, c’est toujours qu’une question de malchance.

offre involontaire

ft. @Yoshi Akabane

S’excuser pour un rien était un automatisme qui ne lui était que trop familier, mais pour le coup, il fallait remettre les pendules à l’heure : dans cette histoire, c’était Junko la fautive, pas l’autre.


Cette dernière restait polie pour autant, allant même jusqu’à offrir un sourire et flatter l’ego du corbeau en reconnaissant son bon goût en termes de saveurs artificielles. Ça, c’était un beau compliment.
Sauf qu’elle se fige. Elle la fixe. Elle ne fait rien.

Et à chaque seconde de silence gênant, l’anxiété de la voleuse ne faisait que grimper les échelons.

Au fond, elle était parfaitement consciente de la solution de facilité qui se résumait à lui offrir humblement l’un des deux paquets avant de tourner les talons sans un mot.
Mais il y avait un problème, et pas des moindres : Junko achète systématiquement par paire.

Pourquoi ? Parce que c’est comme ça.
C’est la règle.
On ne brise pas les règles.
Pourquoi ?

Parce que c’est comme ça.


Dans ce cas, la deuxième échappatoire était la fuite. La jeune femme aurait dû venir plus tôt, ce n’était pas comme si Junko lui avait arraché les paquets des mains. Elle n’avait rien à se reprocher, si ce n’était d’avoir gagné au pile ou face.

Pourtant, elle restait là, aussi impassible que la demoiselle qui lui faisait face. Elles se ressemblaient, à bien les regarder.

… Non, elle ne pouvait décemment pas se contenter de partir avec le pactole. Mais alors, que faire ?


Sinon, ça briserait la règle.


À l’instant même où Junko avait fini sa phrase, elle avait bruyamment ravalé sa salive en regardant l’inconnue avec des yeux de merlans frits.
Impossible qu’elle ait proposé ça à voix haute. Elle ne pensait qu’à des théories farfelues pour apaiser sa conscience sans abandonner ses nouilles, rien d’autre. Rien qu’une idée, bien à l’abri dans un coin de son crâne.

Sauf qu’il fallait se rendre à l’évidence : elle venait bien de prendre la parole avec assurance, sans rater ne serait-ce qu’une syllabe.

Junko Miyata.
Venait.
D’inviter.
Une.
Personne.
À.
Dîner.

Il fallait qu’elle rétracte sa proposition, c’était une bête erreur. Mais la peur était paralysante, et son corps ne lui permettait rien d’autre que de continuer à la fixer, comme une proie évitant le moindre mouvement dans l’espoir de ne pas être vue.

À ce moment précis, la seule chose qui la rassurait, c'était l'idée que personne ne pourrait être assez fou pour accepter son invitation. L’ermite se contentera de ne plus jamais montrer son visage en public, et tout rentrera dans l’ordre.

Un plan solide, donc.

@junko miyata

Les excuses fusent avant de laisser place à un nouveau silence, à des regards qui se rencontrent sans rien dire, ne laissant transparaitre qu’un certain malaise, dans l’attente de quelque chose. Yoshi se dit qu’elle ferait mieux de partir, après tout elle même l’a dit, qu’elle allait prendre autre chose. Il suffisait juste de laisser tomber et de penser à autre chose, mais Yoshi reste tout de même immobile, un peu tétanisée par le contact social soudain, l’incapacité à avoir une conversation normale sans avoir la boule au ventre et l’angoisse se coincer dans sa gorge, bloquant les mots qu’elle pourrait dire pour poursuivre la discussion.

Le temps semble long, trop long, Yoshi se motive finalement, elle s’apprête à faire un pas en arrière, faire demi-tour pour fuir le rayon et revenir plus tard plutôt que de laisser planer le malaise le temps qu’elle se décide pour une autre saveur de nouilles instantanées. Finalement, elle n’a besoin de rien faire de tout ça, parce que l’autre fille prend finalement la parole, proposant de partager.

Partager, mais ensemble.

Yoshi relève timidement les yeux vers elle, un peu perdue et incertaine de la proposition. Elle est si étonnante qu’elle n’est pas sûre de l’avoir vraiment comprise, mais le nouveau silence, dans l’attente peut-être de sa réponse, ou non, lui confirme qu’elle a bien été invitée chez une inconnue, une passante au visage familier. La meilleure solution serait de refuser poliment, mais il est bien trop difficile pour Yoshi de dire non et quand ses yeux se posent de nouveau sur les deux paquets de nouilles que la fille tient dans ses mains, difficile aussi de laisser tomber sa saveur favorite comme ça.

Elle se rassure surtout en se disant que peut-être qu’en faisant l’effort, les interactions finiront tôt ou tard par être plus faciles, moins stressantes au final. Elle hésite encore un peu, mais si c’était proposé, c’est que c’était aussi voulu, alors…

Alors.

« D’accord… C’est gentiment proposé, mais j’insiste pour payer la moitié quand même. Peut-être autre chose si vous voulez ? De la boisson, ou… »

Elle finit par se taire. C’est que Yoshi n’a pas envie d’être un fardeau pour les autres, elle se rend surtout compte de l’absurdité de la situation. Elle ne se serait jamais imaginé aller diner chez quelqu’un qu’elle ne connait pas, à peine de vue.

Mais c’est trop tard pour se désister, dire finalement non, ce serait ridicule. Alors, de nouveau, elle regarde l’autre fille silencieusement et elle attend, qu’il se passe quelque chose, qu’on lui demande quelque chose.

Parce qu’elle a tant de mal à agir toute seule, à prendre les initiatives qu’il faut. Elle s’embourbe juste dans une certaine crainte, dans l’angoisse de l’inconnu qui va suivre.

en route, mauvaise troupe

ft. @Yoshi Akabane

Elle ne répondit pas, évidemment.
Elle devait la penser bizarre, potentiellement dangereuse, même. Absurde. Perchée. Complètement-


… Ah.


L'inconnue lui proposa de partager les frais et de leur acheter à boire, agissant comme si l’invitation de Junko n’était qu’une banalité.
Tout compte fait, peut-être que c’était elle, la bizarre.

Bouche bée, le regard du corbeau se redirigea sur ses pieds fébriles, trop perplexe pour affronter le regard de la jeune femme.

Était-ce réellement aussi simple, depuis le début ?
“Tiens, on aime la malbouffe toutes les deux, tu veux venir traîner chez moi ?”
Ça fonctionnait vraiment comme ça ?

Non, probablement pas.
Et pourtant, ça avait marché.
Calculer les risques n’étaient pas une compétence dans laquelle la brune excellait, mais même en faisant un effort, il lui était difficile de trouver un argument assez solide pour faire marche arrière à ce stade.
Au pire, elle connaissait toutes les cachettes de l’appartement.
Au pire, ses colocataires étaient probablement rentrés.

Au pire, ce n’était pas comme si elle pouvait mourir à nouveau.

C’est d’ailleurs cette pensée pour le moins joviale qui avait fini de la convaincre. Au fond, elle ne risquait pas grand-chose, si ce n’était de passer une soirée désagréable.
Ça, elle en avait l’habitude, et savait très bien le faire toute seule.


Junko se décida finalement à retrouver le regard de l’autre, qui semblait tout autant perdue qu’elle, jusqu’à s’être interrompue dans sa propre phrase. Maintenant, il fallait assumer son rôle d’hôte, qu’elle comptait bien prendre au sérieux.


À mieux la regarder, l’ermite s’était demandé si elle n’avait ne serait-ce que l’âge requis pour pouvoir en consommer. C’est qu’elle était haute comme trois pommes, et possédait les traits d’une simple adolescente.
Mais la brune avait appris à ne pas se fier aux apparences, surtout ici. Elle avait déjà croisé des âmes de plusieurs centaines d’années à jamais coincées dans des corps prépubères, agacés d’être traités comme tels.
On n’était jamais trop prudents, après tout.


Elle avait patiemment attendu que son amie de fortune fasse sa décision avant de se diriger vers les caisses automatiques, acceptant sans un mot de partager les frais de leurs victuailles.
Vu son budget serré, elle n’était pas vraiment en position de refuser.

Par chance, le trajet tout aussi silencieux fut de courte durée, Junko ne daignant de prendre la parole que pour lui poser une question pressante qui ne lui avait même pas effleuré l’esprit jusqu’ici :


Oui, en général, c’était censé être la première étape.



Les présentations rondement menées mirent fin à la discussion, jusqu’à ce que les demoiselles arrivent enfin devant la porte d’entrée.
Et alors qu’elle était sur le point de la déverrouiller, le corbeau fit volte-face un moment en se rappelant d’un autre détail, et pas des moindres :


Une manière bien élusive de décrire Gulliver avant qu’elle ne le découvre d’elle-même. C’est que l’endroit pouvait amplement donner le tournis, particulièrement aux nouveaux venus.
Comme si la situation n’était pas assez étrange comme ça.