Sur tous les étages se prolifèrent sa perdition.
Le jeune homme n'a pas l'air d'être sûr d'où il est, ni et encore moins, en tout cas, d'être sûr de ce qu'il fait là. Les phalanges blanchies par la rudesse de l'averse, elles tremblent et manquent de faire choir ce papier imbibé plus d'eau que d'encre. Les mots imprimés sur ce morceau maintenant dilués, ils n'en demeurent pas moins plus parlant que l'état de cet homme complètement démuni.
La perdition de ses mots.
Pendant un moment, aucun son ne s'échappe du sanctuaire bouché. Il reste ainsi, dans le centre de l'entrée de la boutique, sur un tapis décoratif qui, à priori, ferait désormais office de carpette d'entrée. Elle aurait bien voulu lui faire remarquer mais ne sachant vraiment si elle s'adresse à une de ses statues parce qu'elle en devient folle, si elle rêve, plus simplement ou si cela est vraiment vrai, elle ne dit rien pour le moment ; laissant probablement autant qu'elle, l'individu trouver ses marques dans sa prise de position et possession du lieu.
Immobile alors qu'elle tourne autour et l'analyse, il ne se repère peut-être pas non plus dans l'espace si ce n'est savoir qu'il est entre
nuages et terre. Elle finit son analyse une dizaine de fois et celui-ci ne semble toujours pas bouger. Même pas des lèvres : Ça fait presque deux minutes que le silence est intact.
Ne trouvant pas le temps court ou utile, elle songe néanmoins à chasser cette personne, voyant qu'il ne prend aucune décision orale. Bien que le rejet serait un peu peiné.
Ce n'est qu'après un moment que le trempé se met à prendre une parole feutrée, beaucoup moins stridente que Filomena et plus froissée que la pluie. Il n'ose à peine rompre chacun d'eux. De sa prestance timide et pusillanime, Léandre aurait attendu des excuses et se retrouve étonnée de ne pas en recevoir mais elle n'est pas lésineuse au point de lui en demander alors qu'elle n'en demanderait pas à un individu plus engagé.
Sa mine sévère se transforme en moue frappée par la pitié lorsqu'elle essaye de percevoir les mots faibles de ce vent qu'il tente de provoquer. Encore une fois, elle ne cherche pas à être méchante mais comme elle a pu l'être avec Ael lors de leur première rencontre, elle se montre maladroite :
▬ Je n'entends pas ce que vous dîtes. Articulez s'il-vous-plaît.Puis, le garçon s'exécute mais pas parce qu'elle lui demande. Il prend son courage à deux mains et s'avance vers elle alors qu'elle n'a pas fait un pas. Elle a juste tourné son regard sur toute sa silhouette et n'a pas pris la politesse de l'accueillir avec amabilité. Néanmoins, elle salue le courage d'un être pudique dont elle ne comprend pas pour autant d'introversion.
Fermée face au reste du monde ne veut pas dire pour autant qu'elle l'est avec les autres. Elle ne fait pas d'efforts, ça serait mentir, puisque c'est spontané. Mais elle ne perçoit pas pourquoi certaines personnes ne savent aller de l'avant par un médiocre pas. Ce n'est pas beaucoup, après tout, il n'y a juste qu'à le franchir et il l'a fait. Elle aurait envie de lui faire remarquer mais, derechef, s'abstient, de peur de le blesser, lui et son courage temporaire.
Néanmoins, comme il est plus proche, elle peut distinguer sa pomme d'Adam qui glisse dans le fond de sa gorge pour se terrer et ne plus revenir.
Il se ronge tout seul. Il va finir par se manger.Ses efforts sont recevables mais il les met automatiquement en doute. Ainsi, elle veut se donner pour mission de lui affirmer qu'il n'a pas tort.
Il n'a pas tort, non, mais cet article qu'il tient doit être périmé depuis un moment.
À en voir la boutique, c'est d'une évidence que la gérante n'a absolument pas besoin d'employés mais ses surestimations au lancement de sa boutique l'ont poussé a rédigé un tel article, croyant qu'elle aurait besoin d'une main d'oeuvre conséquente. Mais elle est trop aveugle et s'effondre après tant d'arrogance. Personne ne s'est présenté en tant que client et encore moins en tant qu'employé à part ce jeune homme.
▬ J'ai écrit cet article, il y a un moment, mon grand, elle utilise cette appellation puisqu'elle n'arrive pas à le voir autrement qu'un adolescent.
Comme vous pouvez le voir, je n'ai pas vraiment besoin de quelqu'un mais c'est très gentil de venir toquer à ma porte.Elle n'a pas besoin de lui, clairement.
Mais lui a besoin de quelqu'un, en revanche. Elle en veut pas qu'il retourne dans cette scène diluvienne. Elle a l'impression que la pluie va s'intensifier s'il sort. Que d'autres gouttes vont tomber.
Ainsi, avant qu'il ne se retourne, elle se met à tousser et à dévier le regard. Trop gentille, elle se montre, là, trop soudainement. Léandre suffoque d'autant d'ouverture, elle devient malade parce que le garçon a ouvert subitement sa porte alors qu'elle ne s'y est pas attendue.
Il a besoin d'elle ou de quelqu'un, au moins, c'est certain.
▬ Écou... Écoute, elle hésite dans la politesse ou la familiarité, déjà, reste un moment ici avant que la pluie se calme. On peut voir si tu peux m'être utile quelque part.
Elle jette un oeil sur le panorama de meubles qui se dresse, plus imposant, juste derrière l'inconnu, l'attendant presque. La blonde sourit.
▬ J'ai pas mal de meubles dont des chaises. Tu devrais trouver ta place.Adepte du double-sens, elle sait que ses interlocuteurs ne sont pas assez poétiques ou trop sensoriels au monde pour comprendre le parallélisme lyrique. Baskets devenant
babouches pour des contes de mille et une nuit, elle tente de le faire rêver, discrètement.